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Drill, Baby, Drill : en Arizona, la Covid-19 utilisée pour faire passer un projet minier ?

Par Anne-Lise Boyer, docteure en Géographie, ingénieure de recherche au laboratoire Environnement Ville Société (UMR 5600). Ses recherches portent sur l'adaptation à la rareté de l'eau dans les villes d'Arizona.

Par Claude Le Gouill, chercheur associé au Centre de Recherche et de Documentation des Amériques (CREDA UMR 7227). Il travaille sur la Bolivie et l'extraction minière dans les Andes et en Arizona.

L’État d’Arizona, dans le sud-ouest des États-Unis, est un haut lieu de production de cuivre. Surnommé le Copper State, il est depuis le début du XXe siècle le leader national (avec plus de 70 % de la production) d’un pays qui se place aujourd’hui au quatrième rang de la production mondiale. L’Arizona dispose en effet d’un sous-sol riche en gisements métallifères et compte certaines des plus grandes mines de cuivre du continent nord-américain, comme la mine à ciel ouvert de Morenci dont la production s’élève à 475 000 tonnes de cuivre par an. Depuis le début des années 1990, les projets de mine se sont multipliés dans la région, comme ailleurs dans le monde. Soumis à de longues procédures d’autorisation encadrées par le National Environmental Protection Act, la Présidence Trump et la crise de la Covid-19 ont récemment favorisé l’accélération de certains projets miniers. C’est le cas de la mine de Resolution Copper, à Oak Flat.

Dans le comté de Pinal à une centaine de kilomètres à l’Est de Phoenix, la capitale de l’État d’Arizona, l’ancien district minier de Magma, opéré par la Magma Copper Company du début du XXe siècle au milieu des années 1990, connait un nouveau regain grâce aux prospections menées par Resolution Copper, une entreprise minière locale appartenant aux transnationales BHP Billiton (55%) et Rio Tinto (45%). Utilisant les puits abandonnés de la mine de Magma pour explorer le gisement de la région depuis le début des années 2000, Resolution Copper estime que celui-ci pourrait bien constituer le plus grand gisement de cuivre du monde. La mine à elle seule aurait ainsi le potentiel de fournir près de 25 % de la demande américaine de cuivre (Photo).

Entrée d’un puits de la mine de Magma (photo de terrain ALB/CL)

Cependant, dès 2005, alors que l’entreprise met au point ses premiers plans d’exploitation, l’opposition locale s’organise. En effet, la région est prisée par la population urbaine venue de Phoenix pour le week-end pratiquer le camping, la randonnée, l’escalade. Elle est aussi parcourue de sites sacrés pour les Apaches San Carlos, dont la réserve se trouve à quelques kilomètres du gisement. La zone est surplombée par les falaises d’Apache Leap, nommé ainsi en mémoire d’un épisode des guerres indiennes de la fin des années 1870 : les survivants apaches d’une embuscade tendue par la cavalerie américaine se seraient retirés au somment des falaises pour sauter vers la mort plutôt que se rendre. Or, selon les rapports d’expertises commandés par les opposants à la mine, l’ampleur des travaux d’extraction proposés par Resolution Copper pourrait venir déstabiliser les falaises d’Apache Leap.

Cette possibilité remet en cause le discours de la compagnie minière sur le faible impact environnemental de son projet. Elle propose en effet de recourir à la technique du block caving, une version souterraine de l’exploitation à ciel ouvert (open pit) : une grande partie de la roche est creusée en souterrain, créant une caverne artificielle qui se remplit de ses propres décombres lorsqu’elle s’effondre sous le poids des couches supérieures. Le minerai effondré est dès lors soutiré par une série d’entonnoirs et de tunnels construits pour accéder au fond de la cavité. Si cette technique a un impact moindre que la mine à ciel ouvert en termes de préservation du paysage et de stockage des déchets, à terme, cependant, se dessine en surface une dépression plus ou moins profonde qui vient modifier la géomorphologie locale, avec des risques pour l’environnement.

En 2014, suite à une procédure d’échange de terres –  une mesure exceptionnelle qui permet le transfert de terres publiques fédérales au secteur privé –  passée sous la pression de John McCain, ancien sénateur républicain d’Arizona, et signée par le Président Obama, Resolution Copper est devenue propriétaire des terres fédérales du plateau d’Oak Flat (970 ha) qui appartenaient jusqu’alors à la Forêt Nationale de Tonto, gérée par le Service National des Forêts (U.S. Forest Service). En échange, elle a donné 1 830 ha de parcelles privées qui ont été, elles, incorporées au domaine public. Cet échange a suscité une vive opposition de la part des associations environnementalistes (National Audubon Society, Grand Canyon Chapter du Sierra Club) mais aussi des organisation native-américaines (le gouvernement tribal des Apaches San Carlos et le National Congress of American Indians). En effet, Oak Flat est un site sacré pour les Apaches qui viennent fréquemment s’y recueillir dans la mesure où s’y trouvent de nombreuses sépultures, des pétroglyphes et des plantes médicinales recherchées. En 2014, du fait de la mesure d’exception du land exchange, le projet de mine et les tensions qu’il suscite se trouvent fortement médiatisées. La pression des opposants croît, relayée à Washington à travers notamment Raul Grijalva, député démocrate d’Arizona à la Chambre des Représentants. De ce fait, le site d’Oak Flat est ajouté au Registre National des Sites Historiques en 2016.

Pour autant, cette décision en faveur de la sauvegarde d’Oak Flat ne change pas grand-chose au déroulé du projet minier. Comme bien souvent, le processus de développement de l’activité minière se met lentement en place et fonctionne comme un véritable jeu de dame : les pions de chaque camp avancent ou reculent, encadrés par la législation environnementale étatsunienne et notamment par le National Environmental Protection Act (NEPA). Cette loi, votée par le Congrès américain en 1969 en réponse aux pressions environnementalistes montantes de la fin des années 1960, oblige les décideurs à prendre en considération les impacts environnementaux de tout projet susceptible de modifier l’environnement.

Cette exigence se concrétise par l’obligation de rédaction d’une étude d’impacts environnemental (l’Environnemental Impact Statement, EIS) par l’agence en charge de conduire le processus de décision, le Service National des Forêts dans le cas d’Oak Flat. Le travail d’expertise requis par l’EIS débute en 2016, donnant lieu à un nouvel élan de mobilisation et le site d’Oak Flat est occupé par des militants apaches. Cependant, cette nouvelle étape de l’opposition au projet minier n’obtient que peu d’attention médiatique dans la mesure ou les yeux sont tournés vers le conflit du Dakota Access Pipeline à Standing Rock, dans le Dakota du Nord (évoqué dans ce billet sur la situation des Amérindiens dans le Dakota), que les militants d’Arizona finissent par rejoindre. Néanmoins, la procédure de finalisation de l’EIS génère la compilation de nombreux travaux d’expertise et de contre-expertise et la tenue de plusieurs réunions publiques dans le cadre d’un processus de participation publique obligatoire, avec d’une part les partisans du projet qui font tout pour accélérer la procédure et, d’autre part, les opposants qui font tout pour la ralentir (obstructions, procès intermédiaires). L’aboutissement d’un projet de mine tel que celui porté par Resolution Copper peut ainsi prendre une dizaine d’années avant que ce ne soient lancées les activités d’extraction à proprement parler.

Occupation du plateau d’Oak Flat en 2016 (photo de terrain ALB/CL)

Aujourd’hui, le projet minier d’Oak Flat fait à nouveau parler de lui. Alors que le rapport final de l’EIS par le Service National des Forêts n’était attendu que pour 2021–2022, celui-ci a finalement été publié le 15 janvier 2021, sous la pression d’un gouvernement Trump particulièrement favorable à l’exploitation des ressources naturelles et qui souhaitait accélérer le projet avant la fin de son mandant présidentiel.

Ce document considère que le projet minier de Resolution Copper aura des effets limités sur l’environnement, dans le respect des normes en vigueur (Clean Air Act et Clean Water Act notamment), et délivre un permis de construction sur les terres fédérales pour le réseau de pipelines et de lignes électriques associés au projet. Il marque une étape cruciale dans le processus d’autorisation du projet minier car la publication finale de l’EIS fixe un délai de soixante jours avant que ne soit rendu effectif le land exchange signé en 2014 qui rend Resolution Copper pleinement propriétaire du plateau d’Oak Flat, rendant ainsi possible la concrétisation du projet de mine de cuivre.

Cette décision a suscité un tollé. Elle est interprétée comme un pied-de-nez aux normes environnementales, si ce n’est une véritable provocation par les acteurs de l’opposition. Publié dans le contexte de la Covid-19, le rapport final de l’EIS ne peut en effet pas donner lieu à la dernière étape du processus de participation, censée permettre retours et critiques à travers les dits « commentaires publics », selon les conditions habituelles recommandées par la loi. En effet, du fait de la pandémie, les organismes publics ont fermé leurs bureaux aux visiteurs, annulé ou reporté les réunions publiques, et déplacé la plupart des procédures vers des formats virtuels (formulaires en ligne, visioconférences pour les réunions publiques)…

Cette modification des formes de participation liée à la pandémie de Covid-19 a suscité l’inquiétude de plusieurs groupes de défense des droits travaillant sur cette question et plus largement sur celle de la démocratie locale. C’est le cas par exemple du Center For Progressive Reform, rejoint par 163 autres organisations, qui avait appelé dès mars 2020 l’administration Trump à étendre toutes les périodes de participation publique, dont celles concernant des projets d’aménagements susceptibles de modifier l’environnement. Leur pétition explique ainsi : « Comme vous le savez, la participation du public est une caractéristique essentielle du système réglementaire américain, et le processus de commentaires publics est devenu le principal moyen par lequel le public a eu l’occasion de faire connaître leur point de vue aux décideurs. (…) L’arrivée de la pandémie COVID-19 menace cependant de priver les membres du public de cette possibilité de participer de manière significative à la prise de décision ». Cette requête semble être restée lettre morte.

Dans le cas d’Oak Flat, les différentes parties disposent de 45 jours à partir du 15 janvier 2021 pour faire leurs objections. Cependant, le contexte de la Covid-19, qui frappe particulièrement fortement les populations native-américaines rurales en Arizona, jugule la formation d’un mouvement de mobilisation aussi actif que par le passé (occupation d’Oak Flat, manifestations devant le Capitole à Phoenix) de peur des contaminations. Comme le souligne le député R. Grijalva interviewé dans The Guardian en novembre 2020 : « Le fait que [l’administration Trump] fasse passer ça pendant le Covid rend la chose encore plus dégoûtante. Ils savent que la réaction de la tribu serait très forte et publique dans des circonstances normales, mais les tribus essaient de sauver leur peuple en ce moment même ».

L’association apache, Apache Stronghold, qui a mené l’opposition au land exchange et mène la lutte contre le projet minier de Resolution Copper, a décidé de poursuivre en justice dès la mi-janvier le Service National des Forêts en ce que le projet de mine correspond à une violation du Religious Freedom Restoration Act de 1993. Cette loi stipule qu’une décision ne concernant pas directement les pratiques religieuses peut pourtant indirectement peser sur elles : « le gouvernement ne doit pas peser de manière substantielle sur l’exercice d’une religion personne ». En effet, la décision par l’USFS de se montrer favorable au projet de mine participe selon eux à la destruction potentielle du site sacré pour les Apaches.

C’est donc une nouvelle bataille législative qui s’ouvre autour d’un projet minier, impliquant associations environnementalistes et amérindiennes, comme c’est régulièrement le cas dans le Copper State d’Arizona. L’avènement d’une administration démocrate changera-t-elle la donne ?

Culiacán et Douarnenez, le 8 février 2021