États-Unis Civilisation

Joe Biden : Let’s do this

Par Françoise Coste, professeure en civilisation américaine à l’Université Toulouse-Jean Jaurès.

“Let’s do this ». C’est par ces mots volontaires et optimistes que Joe Biden a accueilli sur son compte Twitter la grande nouvelle que tout le monde attendait : Barack Obama le soutient officiellement.

Image publiée sur le compte Twitter de Joe Biden pour annoncer le soutien d’Obama

La semaine a été faste pour l’ancien vice-président, chaque jour amenant un ralliement de poids à sa candidature : Bernie Sanders, Barack Obama puis Elizabeth Warren. La primaire démocrate est donc de facto terminée, Biden est le seul encore en lice et il sera le candidat du parti. Mais pour faire quelle campagne, alors que les Etats-Unis sont confinés et qu’ils sont le pays le plus touché par la pandémie ?

La situation représente un réel handicap pour Biden. Certes, vu sa très longue carrière à Washington (35 ans au Sénat puis 8 ans comme Vice-Président d’Obama), il n’a pas besoin de parcourir le pays pour se faire connaître. Cependant, quand l’Amérique se déconfinera, qui dit que Biden, qui a 77 ans, pourra sortir en public ? Même si Trump est lui aussi septuagénaire, le problème ne se posera pas dans les mêmes termes pour lui : il a déjà annoncé que, quoi qu’il arrive, il ne porterait pas de masque et il a moins besoin que Biden d’être sur le terrain : après tout, un président sortant peut faire campagne depuis la Maison Blanche puisque tous ses faits et gestes sont de toute façon couverts par les médias. Imagine-t-on un candidat faisant campagne avec un masque et refusant de serrer les mains des électeurs ? Il est urgent pour lui et son équipe de rapidement inventer une nouvelle manière de faire campagne. Pour l’instant, Biden a installé un petit studio chez lui et il communique par l’intermédiaire de vidéos postées en ligne. Inutile de préciser que ce bricolage en urgence pèse peu par rapport au mastodonte médiatique qu’est Donald Trump tant à la télévision que sur les réseaux sociaux qu’il manie comme aucun autre homme politique aux Etats-Unis (même si, dans l’absolu, Obama a plus d’abonnés qui le suivent sur Twitter que Trump, personne ne peut rivaliser avec le style ultra-polémique qui est la marque de fabrique de ce dernier). Trump aspire toute l’oxygène politique aux Etats-Unis aujourd’hui tant dans la presse de gauche, qui rebondit sur tous ses excès, que dans la presse de droite qui lui voue un quasi-culte de la personnalité. Ses conférences de presse quotidiennes depuis la Maison Blanche, même si elles posent bien des problèmes dont on reparlera un autre jour, monopolisent l’attention des médias et rendent Biden totalement inaudible.

Et ceci est bien dommage car, si l’on écoute avec attention la déclaration de soutien d’Obama, l’ancien président offre des idées intéressantes quant à la direction que pourrait prendre la campagne présidentielle des Démocrates. Obama y procède en quelque sorte à son propre droit d’inventaire, en avouant que, s’il devait être candidat aujourd’hui, il serait beaucoup plus audacieux dans ses propositions qu’en 2008 (le terme « bold » revient sans cesse dans sa bouche). Entre les lignes, il semble regretter la relative modération de ses deux mandats et il reconnaît que Biden, s’il est élu, devra « aller plus loin », en particulier sur la question si sensible de l’Obamacare. En 2009, lors des interminables négociations sur la réforme de la santé, l’administration Obama avait en effet dès le départ écarté l’idée phare défendue par la gauche du Parti démocrate, connue sous le nom de « public option » : l’idée était de créer un système d’assurance totalement public, gérée directement par l’Etat fédéral. A l’époque, soutenir une telle réforme était bien trop radical, d’où l’entre-deux finalement incarné par l’ACA (Affordable Care Act, souvent désigné sous le nom d’Obamacare), un système dans lequel l’Etat fédéral cherche à obliger les citoyens à disposer d’une assurance santé, mais en leur accordant en même temps des bonus fiscaux pour qu’ils puissent les souscrire auprès des (riches) compagnies d’assurance privée. Or, dans son allocution du 14 avril, Obama revient explicitement sur sa position de 2009 et il se déclare favorable à la « public option », un revirement très symbolique qui révèle à quel point Bernie Sanders, même s’il a perdu les primaires, a poussé tout le parti vers la gauche.

Cette question de l’assurance santé est bien évidemment appelée à dominer la campagne présidentielle, quand elle commencera enfin, à cause des ravages de la Covid-19. On peut penser que Biden en fera un sujet central, et ce pour deux raisons principales. Tout d’abord, la gestion de la crise par Trump est très problématique, à de nombreux niveaux : manque de préparation des agences sanitaires fédérales, minimisation systématique des risques par la Maison Blanche depuis le mois de janvier, manque criant d’empathie du président envers les victimes, fortes réticences de l’administration à aider les états dirigés par des gouverneurs démocrates, empressement de Trump à lever le confinement contre l’avis des médecins etc. Tout ceci offre à Biden un angle d’attaque idéal. Et ensuite, Biden et son équipe ont une grande expérience des crises sanitaires. L’un de ses plus proches conseillers, Ron Klain, avait été choisi par Obama en 2014 pour coordonner la réponse américaine à l’épidémie d’Ebola qui sévissait alors. Son expertise constitue donc un grand atout pour la campagne de Biden, qui serait bien inspiré de suivre le modèle britannique du shadow cabinet et de faire de Klain un ministre de la santé de substitution. Qu’attendent donc Biden et Klain pour faire un point de presse quotidien sur la Covid-19, pour concurrencer celui de Trump ? Un point presse où, plutôt que de s’entourer de sycophantes et de passer des heures et des heures à se plaindre et à se disputer avec les journalistes, ils pourraient reconnaître le terrible impact humain de la Covid dans le pays et, surtout, donner aux Américains des informations concrètes sur l’épidémie. On devine d’ailleurs que c’est sous cet angle-là que les Démocrates intégreront sans doute la Covid à leur campagne quand on retourne une fois encore à la vidéo postée par Obama il y a quelques jours : il revient en effet plusieurs fois sur le besoin qu’ont les politiques de parler avec les scientifiques et de fonder leurs décisions sur la science, par opposition implicite à la gestion erratique et politicienne du président actuel. Mais encore faut-il pour tout cela que la campagne finisse enfin par démarrer…

Toulouse, le 19 avril 2020

Françoise Coste est professeure en civilisation américaine à l’Université Toulouse-Jean Jaurès (laboratoire CAS, Cultures Anglo-Saxonnes). Elle travaille sur l’histoire politique des Etats-Unis; sa biographie de Ronald Reagan, Reagan, parue chez Perrin, a reçu le prix de la biographie politique de l’année en 2015.

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