Pérou Science politique

Le coronavirus au Pérou : un accélérateur des réformes sociales ?

Par Arthur Morenas, coordinateur du pôle andin (Lima) de l’Institut des Amériques et doctorant à l’Université de Strasbourg.

La principale surprise au Pérou concernant la crise du COVID est probablement la réaction particulièrement rapide du président de la République Martin Vizcarra ainsi que son gouvernement :  le 15 mars, 10 jours après la déclaration du premier « cas importé » de coronavirus dans le pays et alors que très peu de pays, en Europe et aux Etats-Unis, n’avaient pris de mesures de confinement, ont été prises les premières mesures « d’isolement social » pour une durée initiale de 15 jours. Quelques jours auparavant, le gouvernement péruvien avait déjà annoncé, à la surprise générale, l’interdiction des vols en provenance de plusieurs pays d’Europe et d’Asie. Dans les jours suivant l’annonce de l’état d’urgence national, les règles du confinement ont été progressivement renforcées : de l’instauration d’un couvre-feu à la mise en place de restrictions toujours plus strictes pour les sorties relatives aux achats de première nécessité. Ainsi, à partir du 12 avril les sorties de première nécessité sont limitées aux hommes les lundi, mercredi et vendredi et aux femmes les mardi, jeudi et samedi. Les mesures de confinement ont été prolongées pour le moment jusqu’au 26 avril.

Afflux dans les supermarchés à l’annonce du confinement

Si les diverses mesures ont pu surprendre par leur « précocité » par rapport, notamment, aux pays européens ou nord-américains, celles-ci ont été très largement saluées, et font l’objet d’un consensus presque général, fait relativement neuf dans un pays marqué récemment par de multiples crises politiques, dont le point culminant a probablement été la dissolution du congrès péruvien en 2019.  La mesure aujourd’hui la plus soumise à controverse est probablement celle destinée à limiter les jours de sortie aux hommes et aux femmes, dont le but principal est d’éviter l’agglomération trop importante de personnes au sein des marchés ou supermarchés. Logique sur le plan de la facilité de mise en œuvre (il avait été évalué la possibilité d’autoriser les sorties en fonction du numéro du document d’identité ou alors de la première lettre du nom de famille, mais ces mesures auraient été bien moins faciles à faire appliquer), la mesure demeure, après une semaine d’application, controversée :  les femmes réalisant la plupart du temps les achats, les problèmes d’agglomération de personnes et files d’attentes se sont multipliés les jours d’autorisation de sortie des femmes.

Dans un pays fortement marqué par l’important niveau d’activités informelles (près de 70% des activités totales sont informelles), le gouvernement s’est par ailleurs illustré par la mise en place d’un important plan de soutien et réactivation économique, équivalent à 12% du PIB du pays. 2,7 millions de personnes ont reçu un bon de soutien économique d’environ 110 dollars pour 2 semaines de confinement (et 110 pour les deux semaines suivantes), et les gouvernements locaux se sont vu octroyer d’importantes quantités d’argent destinés à la répartition de biens de première nécessité aux foyers les plus précaires, ces derniers étant jugés plus à même d’identifier les populations dans le besoin, malgré des craintes de détournement de ces fonds à des fins personnelles ou politiciennes.

Ce plan de réactivation, salué même dans les rangs traditionnellement les plus « conservateurs » de la politique budgétaire péruvienne, est par ailleurs l’objet d’un certain nombre de controverses et enjeux. L’année 2020 avait été nommée, avant la crise, « année de l’universalisation de la santé »[1], suite notamment à l’annonce par le président Vizcarra, le 28 juillet 2019 de l’élargissement du « Système Intégral de Santé » (SIS) à l’ensemble des péruviens ne comptant pas d’assurance santé. Le SIS était alors destiné uniquement aux foyers les plus pauvres, l’annonce de son universalisation devait impliquer un effort sans précédent dans le renforcement des structures médicales du service public de santé. Si les secteurs les plus « conservateurs » de la politique économique (certaines directions du Ministère d’Economie notamment) s’étaient montrés réticents à toute augmentation de dépenses fixes de santé, il y a fort à parier que le contexte sanitaire actuel permette au président péruvien de prendre un ascendant face à ces franges les plus réticentes à l’augmentation des dépenses publiques, et approfondir une mesure qui avait été particulièrement bien accueillie par la majorité des péruviens. Par exemple : l’important complexe de logements Villa Panamericana, construit pour l’accueil des sportifs des jeux panaméricains qui ont eu lieu à Lima en 2019 a été converti en un centre hospitalier et d’isolement des patients porteurs du coronavirus, et plusieurs dépenses de santé engagées actuellement (dans le renforcement des unités de soins intensifs) seront difficilement réversibles un fois la crise passée. Une enveloppe destinée à augmenter les investissements publics une fois la crise terminée a par ailleurs déjà été attribuée dans le cadre du plan de relance annoncé.

Plus controversée est le vote d’une loi, au congrès péruvien, permettant le retrait de près de 25% des fonds accumulés par les travailleurs péruviens du système privé de retraites afin de pouvoir couvrir les pertes de revenus auxquels ils seront soumis dans le cadre du confinement. Si le gouvernement s’est déclaré opposé à cette mesure, il en a tout de même profité pour annoncer une profonde réforme du système privé des retraites, le président ayant eu des mots particulièrement fermes à l’encontre des 4 fonds de pensions qui constituent ce système, souvent accusés de privilégier leurs intérêts financiers aux intérêts des pensionnés. Depuis sa mise en place au cours des années 1990, le système privé de retraites, fonctionnant sur la base d’apports individuels fixés par la loi à des fonds de pensions privés, fait en effet l’objet d’une méfiance croissante en raison de taux de rentabilité faibles et de frais de gestions importants. Le système actuel est par ailleurs régulièrement accusé de renforcer les inégalités vis-à-vis du système public de retraites, auquel sont affiliés en règle générale les travailleurs les plus modestes, dont le fonctionnement par répartition est amputé de l’apport des plus hauts revenus, eux liés au système privé.

Si l’issue de la crise du coronavirus est encore aujourd’hui très incertaine, dans un pays aux infrastructures médicales souvent déficientes, tout porte à croire que les mesures d’urgences prises ont permis d’éviter une propagation rapide de la maladie, donnant au gouvernement le temps d’adapter une réponse sur le plan sanitaire (augmentation des capacités d’accueil dans les hôpitaux, achats de respirateurs artificiels, achat massif de tests de dépistage). En tous états de cause, la sortie de crise s’accompagnera probablement d’importants changements dans les systèmes de sécurité sociales du pays.

Chincha (Pérou), le 10 avril 2020


[1] Il est de tradition au Pérou de donner un intitulé aux années civiles. Cet intitulé figure tout au long de l’année sur un grand nombre de communications gouvernementales et documents publics (journal officiel etc.).

5 réponses sur « Le coronavirus au Pérou : un accélérateur des réformes sociales ? »