Costa Rica Anthropologie

Le Costa Rica, bon élève de la pandémie ?

Par Elisabeth Cunin, anthropologue, directrice de recherche à l’IRD (URMIS, U. de Nice), en accueil à l’Universidad de Costa Rica.

Au Costa Rica, les conférences de presse quotidiennes du Ministère de la Santé constituent une image forte de la gestion de la crise de la Covid 19 : ton solennel, drapeaux officiels, portraits vieillis des anciens responsables de la santé, traduction simultanée en langage des sourds, grande bouteille de gel au milieu des micros. Ce rendez-vous quotidien a transformé le Ministre de la santé, Daniel Salas, en héros national.

Capture d’écran de la conférence de presse quotidienne du ministre de la santé, 15 avril 2020

Les chiffres sont révélateurs. Si le Costa Rica a connu le premier cas de Covid 19 en Amérique centrale (le 6 mars 2020), il est également le pays qui compte le moins de décès dans la région (5 personnes au 19 avril 2020). Le nombre de personnes contaminées augmente régulièrement (660 cas confirmés pour une population de 5 millions d’habitants) et dépasse largement, en pourcentage, celui de ses voisins, à l’exception du Panamá. Mais le taux de létalité (0,76%) est le plus bas d’Amérique latine (suivi par le Chili avec 1,32% et l’Uruguay avec 1,93%) et même l’un des plus bas du monde (derrière Singapour à 0,17% mais devant Taiwan à 1,43%, ou la Corée du Sud à 2,19% selon les chiffres de la John Hopkins University). Le rôle de l’état et des politiques publiques mises en place depuis les années 1940 explique sans doute ces bons résultats. Le système de santé est l’un des meilleurs d’Amérique latine et l’accès aux soins est universel. Depuis le début de la pandémie, les universités, en particulier l’Universidad de Costa Rica, travaillent également à la production de masques, de respirateurs ou à la recherche d’un anti-virus (notamment à partir des anticorps des personnes guéries).

Alors que les cas déclarés étaient encore peu nombreux, le gouvernement a pris des mesures fortes dès le début du mois de mars, bien avant les Etats-Unis, le Mexique ou la France : télétravail dans les administrations le 9 mars et fermeture des espaces publics le 10 mars (alors que le pays ne comptait que 9 cas identifiés), fermeture des premières écoles le 12 mars, et progressivement annulation des manifestations publiques, fermeture des cinémas, théâtres, bars, discothèques, parcs naturels, plages. Le 16 mars, l’état d’urgence sanitaire est déclaré, s’accompagnant de la fermeture de toutes les écoles et des frontières nationales. Une ligne téléphonique dédiée est mise en place et les procédures à suivre en cas de symptômes largement diffusées ; toutes les consignes et mesures prises par le gouvernement sont disponibles en ligne sur le site du Ministère de la Santé ; elles contiennent notamment des directives spécifiques concernant la violence de genre, les personnes vivant dans la rue, les populations amérindiennes et afrodescendantes.

Craignant une dispersion du virus dans l’ensemble du pays (il est pour l’instant fortement concentré dans la vallée centrale, autour des villes de San José, Alajuela, Heredia et Cartago, qui comptent plus de 60% de la population), le gouvernement a renforcé ces mesures pour la Semaine Sainte : commerces non essentiels fermés, centres commerciaux interdits, circulation quasi à l’arrêt. A San José, où le trafic routier est d’ordinaire infernal (le Costa Rica possède le troisième parc automobile par habitant d’Amérique latine), l’autoroute interaméricaine est restée déserte pendant 5 jours, offrant un espace de promenade inédit aux marcheurs et cyclistes. La maîtrise du gouvernement sur la situation (ou l’impression de maîtrise qu’il donne) est incontestable, allant même jusqu’à évoquer l’achat de 3000 sacs adaptés au transport de cadavres (bolsas para cadáveres) tout en précisant que les protocoles en préconisent deux par personne… Tout est prêt avant la tempête, même si tout le monde espère qu’elle n’arrivera pas, car malgré son système de santé performant, le Costa Rica ne dispose que de 143 lits en unités de soins intensifs.

Autoroute interaméricaine entre San José et Cartago (le boulevard périphérique local), 6 avril 2020.

Néanmoins, les restrictions restent mesurées : pas de quarantaine stricte, circulation routière modulée selon les heures et les jours, commerces limités à 50% de leur capacité d’accueil. De nombreux restaurants, boulangeries, épiceries, petits supermarchés, restent ouverts en modalité « livraison à domicile » ou « express », au travers d’un guichet de vente. Du fait de la consigne de confinement (« Quédate en casa »), les livreurs à vélo ou moto sont, avec le ministre de la santé, les autres personnages incontournables de la crise. Comme ailleurs, l’économie sera sans doute durablement touchée, notamment le tourisme, mais ce fonctionnement au ralenti permet de conserver une certaine activité. Dans le même temps, le gouvernement a mis en place une série de mesures pour soutenir le télétravail et pour aider les petites entreprises : création d’une allocation (Bono Proteger) pour les travailleurs ayant perdu leur emploi ou obligés de travailler à temps partiel, moratoire sur le paiement de certains impôts, contributions spécifiques pour le secteur touristique, etc.

Ce message politique, qui se veut rassurant, compétent et prévoyant, s’appuie également sur un autre élément central de la société costaricienne : sa confiance dans le gouvernement et dans son modèle national. Comme le répète le ministre de la santé : “La responsabilidad de cuidarnos es de todos y todas: gobierno, empresas y ciudadanía” (« Prendre soin de nous est une responsabilité partagée: gouvernement, entreprises et citoyens » Daniel Salas, conférence de presse, 14 avril 2020).

De fait, les mesures mises en place, même si elles sont en parties coercitives (et directement sanctionnées par des amendes), reposent sur la responsabilisation individuelle et sur le civisme. Voire sur une certaine fierté nationale. Le gouvernement du Costa Rica se targue de suivre à la lettre les consignes de l’OMS et les costariciens les recommandations du gouvernement. Ce sentiment d’être le « bon élève » de l’Amérique centrale rend compte d’un véritable engagement démocratique, qui prend aussi parfois une tournure nationaliste, porteuse d’un certain entre-soi bien-pensant qui ne tolère pas la déviance, celle des autres pays d’Amérique centrale mais aussi celle des concitoyens non respectueux des règles communes.

Affiche sur la devanture du restaurant Faqra, barrio Escalante, 15 avril 2020.

Les commentaires qui nourrissent la page Facebook du Ministère de la Santé sont à ce titre remarquables : s’ils félicitent régulièrement le gouvernement pour sa maitrise de la situation (“Vamos Sr. Ministro usted está haciendo lo correcto[1], “Gracias Excelente Ministro de Salud Dr Daniel Salas. Que Dios Lo Proteja Llene de Mucha Fortaleza Lo Siga Guiando e Iluminando Siempre Bendiciones[2]), mais aussi la société costaricienne pour sa bonne conduite (“Soy orgullosa de mi patria[3], “Esperemos Buenos comportamientos de los Costarricenses[4]), ils vilipendent violemment tout acte jugé incivique (“deje de malinformar![5], “si quieres jalar jalese, nadie lo detiene, pero no vuelva nunca mas por favor[6]).

Plusieurs propos évoquent la situation des nicaraguayens au Costa Rica (“Hagan algo con ese montón de nicaragüenses que querían salir el día de hoy en 2 buses repletos para Nicaragua… Sanciones fuertes!”[7]). Comme souvent, la « face cachée » de la démocratie costaricienne est visible dans son rapport à son voisin nicaraguayen, notamment en raison de la présence de migrants en provenance de ce pays, représentant jusqu’à 10 % de la population et une partie importante de la main d’œuvre. L’inaction du président du Nicaragua, Daniel Ortega, face à la pandémie suscite des commentaires inquiets, voire hostiles, et les tentatives de franchissement illégal de la frontière entre les deux pays alimentent les polémiques. Une base aérienne a ainsi été installée pour contrôler la frontière, près de la ville de Los Chiles. L’accueil de réfugiés nicaraguayens fuyant le régime Ortega a été suspendu, alors que les réfugiés déjà présents au Costa Rica (50 000 selon les chiffres officiels, jusqu’à 100 000 selon les ONG) vivent dans des conditions particulièrement précaires. Aux récentes mobilisations anti-migrants risque donc de se superposer une association implicite entre nicaraguayens et Covid 19, comme le montre le cas d’une jeune femme nicaraguayenne enceinte, entrée illégalement au Costa Rica, et soupçonnée (à tort) d’être porteuse du virus. Souvent bon élève à l’échelle mondiale (développement durable, absence d’armée, valorisation des Droits de l’homme et désormais gestion du Covid 19), le Costa Rica peut aussi se montrer  provincial, moralisateur et excluant !

San Jose (Costa Rica), le 20 avril 2020

Elisabeth Cunin, est directrice de recherche à l’IRD, chercheuse de l’URMIS, Unité de recherche Migrations et Société, actuellement en accueil au CIICLA, Centro de Investigación en Identidad y Cultura Latinoamericanas, Universidad de Costa Rica. Elle a été déléguée du pôle sud-est de l’Institut des Amériques.


[1] Continuez Monsieur le Ministre, excellent travail !

[2] Merci Monsieur le Ministre de la santé Daniel Salas. Que Dieu vous protège, vous donne de la force, vous guide et vous illumine. Que Dieu vous bénisse.

[3] Je suis fière de ma patrie !

[4] Nous attendons un comportement exemplaire des Costariciens.

[5] Halte à la désinformation !

[6] Si vous voulez partir partez, personne ne vous retient, mais s’il vous plait ne revenez jamais.

[7] Deux bus pleins à craquer de Nicaraguayens aujourd’hui! Il faut faire quelque chose! Sanctions fortes!