La pandémie provoque une crise économique mondiale, comparable uniquement à la Grande Dépression des années 1930. Le Fonds monétaire international (FMI) a ainsi estimé que l’économie de la planète se contractera de 3% d’ici 2020, soit trois fois plus que le déclin de la crise des subprimes en 2009. L’agence prévoit une contraction du PIB de 7,5% pour la zone euro, de 5,9% pour les États-Unis, de 5,3% pour le Brésil et de 4,5 à 7,5% pour l’Argentine, un chiffre qui représenterait la plus forte baisse depuis 2002 pour ce dernier pays. Or cette crise liée à la pandémie intervient à un moment délicat pour l’Argentine, durant lequel elle tente de renégocier à nouveau sa dette externe.
Fin décembre 2019 un nouveau gouvernement péroniste est entré en fonction, avec Alberto Fernández comme président et Cristina Fernández de Kirchner (l’ancienne présidente entre 2007 et 2015) comme vice-présidente. Le contexte est difficile. L’économie argentine se trouve dans une grave crise de balance des paiements depuis avril 2018 en raison de l’épuisement du modèle d’accumulation financière établi par le gouvernement de Mauricio Macri (2015-2019), qui reposait sur un endettement de l’État sur les marchés externes. Entre mars 2018 et février 2020, le PIB s’est contracté de 7,5 % et le prix du dollar américain est passé de 20 pesos argentins à 64, soit une hausse de 220 % en moins de deux ans. En juin 2018, Macri a reçu un prêt historique de plus de 50 milliards de dollars de la part du FMI en échange d’un vaste programme d’ajustement fiscal. Celui-ci a été suspendu en août 2019 en raison de la fuite des capitaux argentins vers l’étranger. Une suspension du paiement des échéances de la dette extérieure a également été décrétée.
Le gouvernement entrant a été élu pour contrôler cette crise économique et renégocier la dette extérieure dont le poids rend la reprise économique impossible. À la fin du mois d’avril, le Ministre de l´Economie a présenté une proposition de restructuration aux créanciers et n’a pas payé d’intérêts en dollars à l’échéance, déclenchant ainsi un bras de fer qui culminera le 22 mai. Les créanciers affirment que l’offre du gouvernement est insuffisante, tandis que le gouvernement argentin défend que le programme présenté est la seule alternative pour arriver un jour au paiement de la dette. Même si les deux parties semblent camper sur leurs positions, l’heure est à la négociation en coulisse pour trouver une solution et éviter une issue dans laquelle tout le monde perdrait. C’est au moment où se déroulait cette nouvelle crise de la dette argentine qu’est apparue la pandémie.
Le gouvernement argentin a réagi rapidement face à cette crise sanitaire. Il a décrété une quarantaine obligatoire et la fermeture des frontières à partir de la mi-mars, alors que le pays ne comptait que 100 personnes infectées. Au 5 mai, on compte 5 020 cas (dont plus de 1 000 guérisons) et 264 décès (environ 6 par million d’habitants). C’est beaucoup mieux que le Brésil voisin qui affiche 116 000 cas et 8 000 décès (37 par million d’habitants).
Un mois et demi de quarantaine et l’arrêt de la plupart des activités ont provoqué une interruption sans précédent de l’économie et une crise de la chaîne des paiements: annulation des commandes, rejet de chèques, retour de marchandises…. L’incertitude sur l’avenir s’accroît car, contrairement à l’hémisphère nord, l’hiver approche. La prolongation de la quarantaine pourrait transformer la crise de liquidité actuelle en une crise de solvabilité, condamnant une partie importante de l’appareil productif local à la faillite et à la destruction de millions d’emplois.
La réponse économique du gouvernement n’a pas été aussi rapide que son action dans le domaine sanitaire. Elle est venue par doses et s’est articulée sur deux piliers. La première a consisté à soutenir la demande en interdisant les licenciements pendant 60 jours et en transférant des revenus vers les secteurs les plus vulnérables: sur une population totale de 45 millions d’habitants, 8 millions de travailleurs informels et de chômeurs ont reçu une aide d’urgence (environ 150 dollars par mois) pour garantir leur subsistance et contenir les débordements sociaux. Un programme d’urgence d’aide à la main-d’œuvre et à la production a été créé dans le même temps. Il comprend le paiement par l’État de 50 % des salaires des travailleurs du secteur privé touchés par la crise, diverses lignes de crédit à taux subventionnés et plusieurs réductions d’impôts, entre autres. Avec ces politiques, l’État national cherche à compenser la baisse des revenus des entreprises du fait de la quarantaine et à gagner du temps en attendant la reprise économique. L’ensemble des mesures représente environ 3 % du PIB de l’Argentine, un chiffre qui contraste avec les plans mis en œuvre en Italie et en Allemagne, qui sont supérieurs à 20 % du PIB de ces pays.
Le gouvernement a une vision très claire de la situation économique, mais sa principale difficulté est de financer l’augmentation du déficit public, exacerbé par les dépenses nécessaires pour atténuer la crise et la baisse des recettes. Actuellement, le principal prêteur est la Banque centrale de la République argentine, qui procède à d’importantes émissions monétaires, bien que d’autres alternatives soient envisagées, comme l’impôt sur les grandes fortunes, qui pourrait contribuer en partie à améliorer les recettes. Dans une économie aussi volatile que celle de l’Argentine (aujourd’hui, l’inflation est de 50 % par an), cette question réveille le spectre de la dévaluation et de l’inflation, car le pays ne dispose de prêteur en dernier ressort solvable comme la Banque Centrale Européenne.
Au-delà des critiques formulées par les secteurs économiques libéraux, la priorité est que l’État fournisse divers outils pour empêcher l’extension massive de la misère et pour assurer la survie de l’appareil productif, même si cela se fait au prix d’émissions monétaires plus importantes. Le risque d’un nouvel épisode hyperinflationniste comme ceux de 1989 ou 1991 est réduit par d’autres facteurs qui agissent simultanément en sens inverse : (i) la chute des prix internationaux des matières premières ; (ii) le gel des tarifs des services publics ; (iii) les réductions de salaires dues à la quarantaine ; (iv) le manque de demande qui rend moins probable l’augmentation des prix ; (v) l’excédent du secteur extérieur ; et, (vi) le contrôle des changes, qui décompresse la demande de dollars sur le marché officiel bien qu’il génère des cotations différentes pour la monnaie entre le marché officiel et le marché parallèle.
Ce n’est qu’en cas de défaillance et d’élargissement substantiel de l’écart de taux de change entre le dollar officiel et le dollar libre que la pénurie pourrait déclencher la dévaluation du taux de change et, avec elle, l’inflation. Une nouvelle flambée des prix porterait un coup sévère au pouvoir d’achat des consommateurs, plongeant l’économie argentine dans une nouvelle dépression dont les conséquences sont imprévisibles.
À l’autre extrême, réussir la renégociation de la dette dans ce contexte difficile permettrait à l’État de procéder à un refinancement des échéances du capital et des intérêts, de soulager les finances publiques, de réduire l’incertitude, de restaurer son accès au crédit et, enfin, de trouver le chemin du retour à la croissance. Dans cette partie de pile ou face, la pièce est actuellement en l’air et il est impossible de dire aujourd’hui comment la pandémie ou la renégociation de la dette seront résolues. Cela fait beaucoup d’incertitude pour un pays qui n’a pas encore réussi à se remettre de sa précédente crise.
Buenos Aires, le 5 mai 2020
Gustavo Ludmer est économiste (Université de Buenos Aires, qui accueille le pôle Cône Sud de l’IdA), docteur en développement économique (Université de Quilmes) et post-doctorant au Conseil national pour la science et la technologie de l’Argentine (CONICET).
Une réponse sur « Quel est l’impact de la pandémie COVID-19 sur l’économie argentine ? »
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