Le 26 octobre 2020, alors que la covid-19 paralysait en grande partie le Honduras, Dixon Davadyd Alvarez Ortiz, le sous-directeur général de l’éducation interculturelle bilingue du Ministère de l’Education a inauguré via Facebook le premier cours en ligne d’enseignement de la langue pesh (connue aussi comme paya, de la famille chibcha). Présent aussi lors de l’inauguration, Wilson Martínez Martínez, prédécesseur de Dixon Davadyd Alvarez Ortiz mit en évidence l’objectif général du cours, entièrement donné en ligne : l’apprentissage de la langue pesh comme langue de communication quotidienne pour les Pesh ou les personnes qui le désirent.
Depuis des années, le Honduras est plongé dans une crise économique, politique et sociale. Selon la Commission Economique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes (CEPAL), il est l’un des pays les plus pauvres des Amériques, avec environ 70% de la population en situation de pauvreté, dont 40% en situation de pauvreté extrême. Cette situation très dégradée entraîne une émigration massive : en 2019, plus de 300 000 personnes ont émigré aux Etats-Unis et on estime que près de 10% de la population a déjà émigré et s’est établie principalement aux Etats-Unis, au Mexique, au Guatemala ou en Espagne (l’émigration a plusieurs causes, la pauvreté, la violence et le manque d’opportunités sociales étant les principales). L’épidémie de la Covid-19, qui a entraîné une fermeture des frontières et des aéroports, a non seulement touché fortement le Honduras, mais elle a aussi fonctionné comme un révélateur des inégalités abyssales de sa société. En effet, la pauvreté réside essentiellement dans les zones rurales où habitent en particulier les populations autochtones. Six langues amérindiennes sont parlées dans le pays et leurs locuteurs, tous bilingues en espagnol, représentent environ de 2% de la population (Table 1).
Familles | Langues | Nombre de locuteurs |
Arawak | Garifuna | 150 000 au Honduras, 30 000 aux Etats-Unis, 10 000 au Belize, 2 500 au Guatemala |
Misumalpa | Miskito | 29 000 au Honduras, 154 000 au Nicaragua |
Tawahka | 1 000 au Honduras, 8 000 au Nicaragua | |
Tol | Tol | 500 |
Chibcha | Pesh | 500 |
Maya | Chorti’ | quelques-uns |
En octobre 2020, deux enseignants, Angel Martinez et Danilo Lugo, travaillant dans des communautés très pauvres — Moradel, près de Trujillo et La Laguna, près de Carbon — ont lancé le cours de pesh en ligne. Cette action, née comme une réaction à l’isolement des communautés autochtones provoqué par la crise vient lutter contre l’accélération de la perte de la transmission de la langue auprès des jeunes dans les villages et plus généralement le manque d’intérêt pour les langues autochtones dans le pays. La rupture des transmissions constitue le facteur principal de la perte des langues au niveau mondial et plus de 80% des 500 locuteurs de pesh à l’heure actuelle ont plus de 60 ans, ce qui fait du pesh une langue en danger sévère de disparition selon l’échelle de l’UNESCO.
Le cours de pesh est consubstantiel à la prise de conscience de l’importance de parler la langue de sa famille ou de sa communauté en plus de la langue nationale, l’espagnol. Ce cours s’inscrit dans les efforts nés de certains enseignants, qui sont devenus de réels acteurs sociaux dans les communautés, pour maintenir langues et cultures autochtones malgré la situation actuelle qui qui favorise l’emploi de la langue nationale et la perte des connaissances et mémoires ancestrales collectives. Grâce à leur dynamisme et à leur altruisme, Angel Martinez et Danilo Lugo sont reconnus comme des médiateurs linguistiques, culturels et pédagogiques aux yeux des Pesh de différentes communautés et des autorités nationales.
Ce cours gratuit est prévu, dans une première phase pour trois mois, à raison de deux séances de deux heures par semaine, et s’adresse à des adultes. Les 35 inscrits ont entre 20 et 40 ans et sont dans leur majorité des enseignants en école primaire dans différentes communautés connues comme traditionnellement pesh mais où on ne parle plus la langue, à part parfois quelques personnes âgées. Certains élèves proviennent de communautés où d’autres langues autochtones sont parlées par les personnes âgées, ou de villages et de villes où seule la langue espagnole est utilisée. La majorité des participants ne possède ni ordinateur, ni wifi et suit le cours sur un téléphone portable grâce au réseau 4G, qui permet d’entendre les élèves et, plus rarement, de les voir.
Malgré des conditions fragiles du fait de l’isolement de certains villages et des pertes de réseau dues à l’instabilité du service (liée au manque d’employés à cause de la covid-19 ou aux ouragans Eta et Iota qui se sont abattus sur le Honduras en novembre) le cours est régulier et se révèle être interactif, dynamique et pratique. Puisque l’objectif principal annoncé est le maintien voire l’introduction de la langue pesh comme langue de communication quotidienne, la méthodologie est adaptée et les thèmes sont centrés autour de la conversation : expressions de politesse, présentation personnelle, formulation d’ordres liés à la vie quotidienne, membres de la famille… Pour introduire un peu de diversité grammaticale sans entrer en profondeur dans ce domaine, les phrases sont formulées essentiellement au présent mais peuvent aussi être reprises au passé et au futur. De même, en fonction des thématiques, différentes personnes sont introduites dans un dialogue le plus naturellement possible : « Comment vas-tu ? », « Je vais bien. », « Je m’appelle XX et lui il s’appelle YY. », etc.
Ce cours est interactif et les interventions des élèves sont nombreuses soit en répétant des expressions ou phrases, soit en s’interrogeant mutuellement. Les échanges oraux pendant les cours sont fondamentaux ainsi que les devoirs à réaliser. Chaque semaine, chaque élève doit réaliser une vidéo de moins d’une minute qui met en scène un échange avec un membre de sa communauté (enfants, conjoint, élèves, parents, amis, voisins) qui ne participe pas au cours et avec qui il communique en pesh. Au cours de cette première phase, seule la communication orale est privilégiée même si le support écrit est présent. La transcription est simplifiée et la lecture correspond à la prononciation de langue. Les deux enseignants, ayant participé à un projet de documentation de la langue pesh, sont conscients des difficultés que représente sa grammaire complexe.
Né d’une initiative de membres de la communauté pesh, ce cours s’inscrit de façon cohérente dans le cadre de la décennie internationale des langues autochtones (2022-2032) décrétée par l’ONU. Son objectif est de promouvoir l’éducation dans leur langue maternelle chez les populations autochtones et d’exploiter le potentiel des technologies digitales pour soutenir l’utilisation et la préservation de ces langues. Cette résolution de l’ONU, prononcée à la fin de l’Année Internationale des Langues Autochtones en 2019, répond à l’urgence de la situation. Selon l’UNESCO, environ 7 000 langues sont parlées dans le monde, environ 96% d’entre elles, soit 6 700, ne sont parlées que par 4% de la population et avant 2100, environ 90% de ces langues auront disparu. En Amérique latine et dans les Caraïbes, 26% des langues risquent de disparaître de façon imminente.
Le cours de pesh, novateur car il renforce la communication orale en langue autochtone, se situe donc dans un mouvement plus général promouvant la présence de toutes les langues sur des moyens digitaux, dont les initiatives récentes sont, par exemple et parmi beaucoup d’autres, la mise en place d’un site Wikipedia en kaqchikel au Guatemala, une chaine Youtube en quichua en Equateur ou de Tik Tok en nahuat au Mexique. Le basculement presque généralisé à l’enseignement à distance dans le cadre de la pandémie de Covid-19 pourrait finalement contribuer à renforcer ce mouvement en banalisant la démarche d’apprentissage en ligne. Il est aussi possible qu’elle permette à plus de personnes confinées dans leurs communautés de s’intéresser à leur culture d’origine.
Guatemala, le 07 décembre 2020
Claudine Chamoreau, linguiste, est directrice de recherche au CNRS dans le laboratoire SeDyL (Structure et Dynamique des Langues), actuellement elle est directrice-adjointe du CEMCA et responsable de l’antenne du CEMCA en Amérique centrale (Centre d’Etudes Mexicaines et Centraméricaines) dont le siège est au Guatemala. Elle a écrit de nombreux articles sur les langues purepecha (Mexique) et pesh (Honduras) et a aussi co-édité des livres. Son CV complet est sur le site du CEMCA ou sur Academia.