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Élections présidentielles aux États-Unis et Covid-19 : la question c’est la pandémie

Par Michael Stricof, maître de conférences en civilisation américaine au LERMA, Aix-Marseille Université, et ancien coordinateur du pôle Washington de l'Institut des Amériques.

En janvier 2020 l’équipe du président Trump se préparait à une réélection triomphale, surfant sur une économie fonctionnant à toute vapeur. Onze mois plus tard, la défaite semble consommée. S’il est encore très tôt pour arriver à des conclusions définitives sur l’élection présidentielle aux États-Unis, on ne peut que se rendre à l’évidence de l’impact important de la pandémie Covid-19.

Le coronavirus fut l’un des facteurs décisifs dans la victoire de Joe Biden, mais son rôle central était visible bien avant le 2 novembre. Certes, il est difficile de dire ce qui se serait passé sans pandémie mais, sans recourir aux histoires contrefactuelles, certaines choses apparaissent clairement. La Covid-19 a dominé les nouvelles tout au long de l’année 2020 et Donald Trump aurait probablement pu garantir sa réélection (et sauver des vies) s’il avait mieux géré la pandémie. Prenant ce fait en compte, Biden a souligné pendant chaque moment de sa campagne comment lui aurait répondu au virus.

La gestion de la pandémie par le président représente une opportunité perdue sur le plan purement politique. Pendant la dernière semaine de mars et la première semaine d’avril, Donald Trump a en effet connu ses meilleures cotes de popularité depuis le mois mars 2017, moment qui a marqué la fin de sa période de « lune de miel » de début de mandat. La proportion des personnes désapprouvant son action est tombée en dessous de 50% pour la première fois et la différence entre approbation et désapprobation s’est resserrée à moins de 5 points, selon l’agrégateur des sondages FiveThirtyEight. Pendant la plus grande partie de sa présidence, le taux d’approbation s’est situé entre 40 et 43%, la désapprobation entre 52 et 54% et l’écart entre les deux entre 10 et 13 points, des chiffres qui sont restés exceptionnellement stables.

Cette approbation extraordinairement haute début avril correspond au moment où la Maison-Blanche semblait prendre la crise sanitaire au sérieux. L’administration tenait des conférences de presse chaque soir pour faire le point de la situation et lors de ces « Coronavirus briefings », Trump laissait initialement parler des experts, notamment le directeur de l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses Anthony Fauci, actuellement l’une des personnes les plus respectées aux États-Unis. Fauci et d’autres spécialistes présentaient des informations factuelles et proposaient des recommandations pour diminuer la transmission du virus.

Fauci parle lors du Coronavirus briefing du 16 avril 2020, Andrea Hanks, photo officielle de la Maison-Blanche, https://www.flickr.com/photos/whitehouse/49784743606/in/photostream/

Le pic de popularité du président a correspondu à un effet politique que le politiste John Mueller appelle rally ‘round the flag effect (« effet du rassemblement autour du drapeau »), une hausse de popularité temporaire lors d’une crise, quand un pays se tourne vers ses dirigeants pour être guidé. Même si cet effet s’évapore le plus souvent rapidement, un homme politique compétent aurait su traduire cette crise en une augmentation prolongée de son soutien populaire – même en ne gérant la crise que moyennement.

L’exemple du gouverneur de New York, Andrew Cuomo, est parlant. Lui aussi faisait face à des sondages défavorables avant la crise de la Covid-19. Pendant le mois d’avril, au moment où New York était l’épicentre du virus, sa popularité est remontée à des niveaux très élevés, un sondage lui ayant même donné 77% d’approbation. Par la suite, son effet « rally ‘round the flag » a diminué beaucoup plus lentement. Il disposait ainsi encore de 60% de soutien en juillet, en dépit des (ou peut-être grâce aux) mesures strictes prises dans l’état de New York. Cuomo est bien évidemment beaucoup moins suivi que le président, donc ces chiffres ne sont sans doute qu’indicatifs. Ils démontrent néanmoins comment un politicien expérimenté peut gérer au mieux sa popularité en temps de crise en se montrant proactif et préoccupé de résoudre les problèmes de ses administrés. De son côté, Donald Trump a plus semblé jaloux de la popularité de Fauci, que préoccupé de juguler la pandémie. Il a d’abord pris en charge les briefings à partir de 19 avril, avant de les abandonner après les remous causés par ses propos douteux sur la possibilité d’injecter de l’eau de javel aux malades.

Sa réponse à la crise du coronavirus a consisté à faire l’autruche. Il a choisi d’enterrer sa tête dans le sable et de prétendre que le virus disparaîtrait de lui-même au bout du compte. Lors des briefings, il préférait se présenter en meneur de la reprise économique pendant que Fauci soulignait l’importance des gestes barrière. Au bout de quelques semaines les experts ont été réduits au silence et le président Trump a utilisé les briefings pour proposer un optimisme aveugle déconnecté de la réalité. En conséquence, son approbation par la population a commencé à chuter, jusqu’à atteindre fin juin son niveau le plus bas depuis l’inauguration en 2016 (autour de 56% désapprobation/40% approbation, selon FiveThirtyEight). Le taux s’est redressé un peu avec la légère reprise de l’économie pendant l’été, mais le président n’a jamais retrouvé la popularité avantageuse dont un leader peut bénéficier pendant une crise.

Comment interpréter cette stratégie ? La politique de l’autruche a clairement échoué. Le président a gagné le plus de soutien quand il prenait le virus le plus sérieusement ; s’il avait répondu encore plus fortement pour diminuer la pandémie, il aurait sans doute pu profiter davantage de quelque chose que seul le titulaire du poste peut espérer faire lors d’une élection, se présenter comme un leader responsable faisant face à une crise nationale. Même l’augmentation du nombre des décès aurait servi de fond dramatique pour un chef dur et courageux qui met l’intérêt de son peuple avant tout, une formule de victoire assez facile pour le président sortant. Peut-être plus important, il a laissé une grande opportunité à Biden pour proposer un leadership alternatif. Sans crise, le président sortant dispose traditionnellement d’un grand avantage aux États-Unis (rares sont les présidents qui n’ont pas été réélus pour un second mandat), surtout avec une économie aussi forte que celle dont Trump pouvait se prévaloir avant la pandémie.

Rassemblement de la campagne Trump en Floride, photo officielle de la campagne, https://www.donaldjtrump.com/

Dans ce contexte, l’équipe de Biden a logiquement choisi de mettre la pandémie de Covid-19 au cœur de sa campagne. Le candidat a parlé de nombreux sujets, mais chaque événement servait pour signaler la différence entre comment il aurait (bien) géré la crise sanitaire, en comparaison avec la politique du président Trump. Durant l’été, la campagne Biden a utilisé extensivement les événements virtuels pendant lesquels le candidat s’exprimait à partir d’un studio situé dans le sous-sol de sa maison. Quand il a commencé à participer à des événements publics, ses apparitions se définissaient par des cercles blancs qui indiquaient la distanciation sociale. L’ensemble formait un contraste saisissant avec les rassemblements de la campagne Trump, qui bafouait les recommandations sanitaires.

Le symbole le plus important de la campagne a sans doute été le masque. Biden et son entourage en portaient systématiquement. Ce n’était pas le cas de Trump qui, de retour à la Maison-Blanche après son séjour à l’hôpital Walter Reed pour le traitement de sa contamination par la Covid-19, a choisi de partager une image ou au contraire il enlevait son masque.

Photo de couverture du site web de la campagne Biden, joebiden.com

La stratégie de Biden semble avoir payé. Les résultats électoraux donnent la victoire à Joe Biden qui dispose de 306 votes dans le Collège électoral (dépassant de loin les 270 nécessaires).

La Covid-19 s’est trouvée au centre de l’histoire politique de cette année électorale par de nombreux aspects, du nombre exceptionnel de votes à distance qui ont ralenti les résultats à l’image dominante donnée par chacune des deux campagnes. La gestion de la pandémie par Trump représente sans doute une opportunité perdue pour lui de s’assurer un deuxième mandat. Il aurait pu en profiter pour se présenter comme le leader unifiant le pays face à une crise. A contraire, en ne prenant pas les choses en main et en niant la pandémie, il a laissé son opposant faire de sa (non) gestion de la pandémie l’axe principal de sa campagne.

Publicité de Biden for President, 20 octobre 2020, https://twitter.com/JoeBiden/status/1318357515680116737

Le contraste entre les deux campagnes électorales peut être résumé par un échange qui a eu lieu entre les 19 et 20 octobre. Lors d’un rassemblement en Floride, Trump s’est moqué de Biden en disant qu’il écouterait les scientifiques comme Fauci, contrairement à Trump qui les avait ignorés pour mettre en avant l’économie. Le lendemain, la campagne Biden a sorti une publicité citant ces propos de Donald Trump, mais en en faisant justement un argument en sa faveur « Lui au moins il écoutera les scientifiques. Lui au moins il écoutera le Dr. Fauci. ». Comme quoi, si rien n’est plus facilement retournable qu’un propos politique, les deux candidats étaient d’accord sur la place centrale de la pandémie et de la parole scientifique dans cette élection.

Aix-en-Provence, le 17 novembre 2020