États-Unis Science politique

Les universités américaines privées face à la crise de la COVID-19 : le cas du Massachusetts

Par Maxime André, coordinateur du pôle Nouvelle-Angleterre de l’Institut des Amériques et doctorant en science politique à Sciences Po Lyon (Triangle).

La région du Grand Boston abrite certaines des universités les plus prestigieuses du monde. L’université d’Harvard ou le Massachusetts Institute of Technology occupent d’ailleurs le devant de la scène depuis le début de la crise sanitaire pour leur recherche d’un vaccin au COVID-19. Cette exposition médiatique a cependant tendance à masquer la situation délicate dans laquelle se trouve la grande majorité des établissements d’enseignement supérieur de cet État. La crise sanitaire n’a en effet pas épargné les universités américaines, publiques comme privées.

Gasson Hall sur le campus du Boston College

S’il aurait été intéressant d’observer l’ensemble des institutions concernées, ce billet, par souci de clarté et de brièveté, se concentrera sur les universités privées du Massachusetts, et plus précisément sur ses private doctoral universities, pour reprendre la classification de la Fondation Carnegie. Pourquoi le Massachusetts ? En tant que coordinateur du pôle Nouvelle-Angleterre situé au Boston College – une private doctoral university de taille moyenne – j’ai pu suivre de près l’évolution de la situation de l’établissement et la mettre en parallèle avec celle d’autres universités de même nature dans le Massachusetts. Pourquoi ce focus sur les universités privées ? La provenance des ressources, le modèle économique et le rapport aux pouvoirs publics des établissements privés diffèrent nettement de ceux des universités publiques. En particulier, alors que ces dernières dépendent largement des financements des États fédérés dans lesquels elles sont implantées, les universités privées se reposent quant à elles, en temps normal, entièrement sur l’activité économique de leur campus et sur les frais d’inscription de leurs étudiants et de leurs étudiantes.

Les universités du Massachusetts ont, pour la plupart, fermé leurs portes aux alentours du 11 mars 2020 et progressivement organisé la poursuite de leurs enseignements en ligne. Dans ces circonstances, un enjeu de taille auquel bon nombre de ces établissements sont confrontés concerne la gestion de leur parc de logements. Par crainte de ne pouvoir assurer la sécurité sanitaire du campus, les universités ont annoncé que la totalité des étudiants et étudiantes résidant sur le campus devraient quitter leur chambre au plus vite. Or, ces campus, bien différents de ceux que l’on peut trouver en France, abritent souvent plusieurs milliers de personnes. Au Boston College, ce sont plus de 7 300 étudiants et étudiantes que le vice-président des affaires étudiantes a invités, le 11 mars, à organiser leur départ et quitter leur lieu de résidence sous quatre jours[i]. Des exceptions ont certes été faites pour les étudiantes et étudiants étrangers ne pouvant rentrer dans leur pays d’origine à cause des restrictions sanitaires, ou au cas par cas pour certains étudiants et étudiantes ne disposant pas d’autres alternatives, mais au 15 avril, seuls 290 résidents vivaient encore sur le campus du Boston College.

Ces mesures exceptionnelles ont poussé les universités à rembourser les loyers payés d’avance jusqu’à la fin de la crise sanitaire. Dans le cas du Boston College, à nouveau, ces remboursements s’élèvent à plus de 23 millions de dollars. Si, dans ce cas précis, le président de l’université a rapidement déclaré que son institution disposait de « réserves financières suffisantes » pour assumer ces larges dépenses[ii], tous les établissements de la région n’ont pas les reins aussi solides. Pour mieux comprendre la diversité des situations financières de ces universités, voici quelques points de repère utiles.

Dans le Massachusetts, nombreuses sont les universités privées qui disposent de trésoreries très importantes, qu’elles peuvent mobiliser en cas de situation exceptionnelle. D’où ces ressources proviennent-elles ? En premier lieu, des frais d’inscriptions, les étudiants et étudiantes devant débourser en moyenne 27 000 dollars par an pour étudier dans le Massachusetts. Ces frais couvrent la formation des étudiants et étudiantes, mais également les nombreux services complémentaires (bibliothèques, installations sportives, etc.) que ces établissements proposent. Et pour cause, si les universités ont rapidement basculé vers des formats de cours en ligne et fermé les campus, ces infrastructures universitaires ne sont plus accessibles. L’indisponibilité de ces services financés par les frais de scolarité n’est pas sans conséquence. L’université de Northeastern fait par exemple l’objet d’une plainte, déposée par l’un de ses étudiants auprès de la Cour de Justice du Massachusetts, contraignant l’établissement à prévoir de nouvelles vagues de remboursement[iii]. Plus largement, bien que certaines universités privées de l’État se disent financièrement suffisamment solides pour supporter une telle crise, l’incertitude concernant la durée de la pandémie est une source d’inquiétude majeure.

Shillman Hall sur le campus de l’Université de Northeastern au cœur de la ville de Boston (source Flickr)

D’autant que si les universités amortissent actuellement une grande partie de ces dépenses imprévues, le doute plane quant à leur capacité à renflouer leurs caisses à la rentrée prochaine. Cette préoccupation est précisément au cœur des discussions menées par 14 présidents et présidentes d’établissements au sein du Higher Education Working Group du Massachusetts, dont la mission est d’élaborer un plan de reprise d’activité pour les universités représentées en son sein[iv]. La chute du nombre d’inscriptions d’étudiantes et d’étudiants américains et étrangers pour la rentrée du semestre d’automne 2020, que l’ensemble des établissements anticipent, inquiète particulièrement. Pour ce qui est des étudiantes et étudiants américains, la crise du coronavirus a été pour beaucoup synonyme de perte des d’emplois sur lesquels ils comptaient pour financer leur cursus universitaire. Ce marché des étudiantes et étudiants américains semble impacter plus spécifiquement les universités publiques qui proposent notamment des frais d’inscription réduits pour les résidents de l’État d’implantation de l’université. Du côté des étudiantes et étudiants étrangers, les incertitudes liées à la fermeture des frontières américaines, à la crise sanitaire et à l’incapacité des établissements à fournir enseignements et services les feront sans nul doute hésiter à s’inscrire pour la rentrée prochaine. Or, la région du Grand Boston accueillait en 2018 plus de 75 000 étudiantes et étudiants étrangers rapportant plus de 3 milliards de dollars à la ville[v]. Sans cet apport majeur, les universités privées semblent destinées à adopter une politique d’austérité budgétaire, dont l’ampleur et, par la suite, les conséquences seront variables en fonction de la trésorerie de chacune. Le président du Hampshire College dans le Massachusetts a par exemple exprimé ses inquiétudes quant à la capacité de son établissement à payer ses employés, professeures et professeurs compris, si, dans les mois à venir, ne se profilait pas la réouverture des universités[vi]. Le plan de réouverture des établissements en quatre phases à l’horizon du trimestre d’automne 2020, présenté par le Higher Education Working Group au Gouverneur Charlie Baker, vise précisément à limiter ces dégâts[vii].

Memorial Hall sur le campus de l’Université d’Harvard (source Flickr)

Le gouvernement de l’État du Massachusetts n’étant manifestement pas disposé à aider financièrement les établissements d’enseignement supérieur, ces derniers ont espéré un geste de l’État fédéral pour les aider à affronter cette crise. Celui-ci s’est bien manifesté, le vendredi 27 mars 2020, jour de signature par le président Donald Trump du CARES Act, un plan de relance multisectoriel de 2 000 milliards de dollars. Ce plan inclut en effet une enveloppe de 14 milliards de dollars destinée aux universités publiques et privées. Dans ce cadre, 82 établissements d’enseignement supérieur du Massachusetts ont pu se partager environ 270 millions de dollars d’aide fédérale. L’Université du Massachusetts à Amherst s’est par exemple vu attribuer plus de 18 millions de dollars, l’Université de Northeastern 11 millions, Harvard en a reçu 8 et le Boston College environ 6[viii]. Comment ces fonds peuvent-ils être utilisés ? Il s’agit d‘une question à la fois centrale et controversée.

Le projet de loi impose certes qu’un minimum de 50 % de cette aide soit utilisée pour dédommager les étudiantes et les étudiants, mais l’usage de la moitié restante est nettement moins règlementé. Il semble, même si une enquête approfondie serait nécessaire pour en attester, que ces millions de dollars aient été utilisés, dans la plupart des universités, pour compenser les dédommagements évoqués plus tôt et pour soutenir les efforts déployés pour conserver l’ensemble des employés et employées menacés[ix]. Mais le flou concernant l’utilisation de (tout de même) 50% des fonds perçus – seuls sont proscrits le recrutement de personnel et la construction ou la rénovation d’infrastructures sportives – laisse malgré tout la possibilité aux établissements, privés comme publics, de financer de nombreux projets, nouveaux ou déjà lancés, dont certains pourraient n’avoir rien à voir avec la crise sanitaire[x].

Or, comme évoqué plus haut, ce plan de relance vise sans distinction les universités publiques et les universités privées. Ce choix de l’administration Trump a été fortement critiqué. Le long billet publié par la journaliste Erica Green dans le New York Times dénonce par exemple la stratégie de la Secrétaire à l’Éducation Betsy DeVos. Il lui est reproché d’instrumentaliser le CARES Act, de le transformer en un outil de renflouement des caisses d’établissements privés – un projet politique bloqué à de nombreuses reprises par le Congrès à majorité démocrate depuis plusieurs années – et de l’écarter de sa fonction première. En rusant avec les modalités de répartition des fonds, la Secrétaire à l’Éducation aurait discrètement mené ce projet à bien, les universités privées ayant d’ailleurs elles-mêmes été surprises des sommes reçues[xi]. Ces modalités, quelles sont-elles ? Les allocations pour chaque université ont été calculées en fonction du nombre d’étudiantes et étudiants boursiers présents dans les établissements, mais également en fonction du nombre d’étudiantes et étudiants boursiers présents dans le district où se trouve l’établissement[xii]. Compte tenu de la répartition géographique des universités américaines, le fait est que de nombreux établissements privés ont bénéficié de leur cohabitation, au sein d’un même district, avec des universités publiques accueillant de nombreux étudiantes et étudiants boursiers et se sont vu attribuer des allocations parfois très significatives.

Tweet de l’article d’Erica Green

La crise de la COVID-19 a ébranlé l’ensemble des acteurs de l’enseignement supérieur américain. Dans le Massachusetts, réputé pour sa concentration d’établissements de renom, les universités ont dû, comme les autres, prendre des mesures drastiques pour préserver la sécurité sanitaire de leurs campus. Plus que des lieux de formation, ces campus sont aussi des lieux de vie, de consommation mais aussi de logement pour des milliers d’étudiantes et étudiants. Cette crise l’a douloureusement rappelé. Dans la même veine, la dépendance des universités américaines au marché des étudiantes et étudiants étrangers et à l’activité économique des campus universitaires a été mise en exergue. La capacité des universités privées à se relever de cette crise n’est pas garantie pour toutes.

Boston, le 17 juin 2020

Maxime André est coordinateur du pôle Nouvelle-Angleterre de l’Institut des Amériques (accueilli au Boston College) et doctorant en science politique à Sciences Po Lyon (Triangle). Sa thèse porte sur la co-production d’action publique entre des organisations privées et des administrations publiques dans les années 1920 et 1930 aux États-Unis.


[i] Moore, Joy, “Letter to students from Joy Moore”, 11 mars 2020, consulté en ligne le 27/052020

[ii] Leahy, William P., “Letter from the President”, 15/04/2020, consulté en ligne le 28/05/2020

[iii] Gavin, Christopher, “Grad student files class action lawsuit against Northeastern University over coronavirus shutdown”, in Boston.com (en ligne), 04/05/2020, consulté le 27/05/2020

[iv] Thys, Fred, “Massachusetts College Presidents Present Plan For Reopening Campuses in Fall”, in WBUR (en ligne), 27/05/2020, consulté le 30/05/2020

[v] Shapiro, Ariela, “Coronavirus Pandemic Could Cause Troubled Mass Colleges To Close”, in DigBoston (en ligne), 23/05/2020, consulté le 28/05/2020

[vi] Carapezza, Kirk, « Struggling Colleges Face Financial Nightmare With Students and Classes Off Campus”, in WGBH (en ligne), 07/042020, consulté le 26/05/2020

[vii] Baxter Emily et Chan Yvonne, “Massachusetts Higher Education Working Group Issues Recommendations for Reopening Colleges and Universities”, in JDSUPRA (en ligne), 02/06/2020, consulté le 03/06/2020

[viii] US Department of Education, “Allocations for Section 18004(a)(1) of the CARES Act”, consulté le 02/06/2020

[ix] Barnhart Jon, Le Duc Sarah, Nell Jackson et Tannous John, « Understanding the Federal Relief Package’s Impact on Higher Education Institutions”, in EAB (en ligne), 02/04/2020, consulté le 29/04/2020

[x] Barnhart Jon, Le Duc Sarah, Nell Jackson et Tannous John, Ibid

[xi] Green, Erica L., “DeVos Funnels Coronavirus Relief Funds to Favoured Private and Religious Schools”, in The New York Times (en ligne), 15/05/2020, consulté le 27/05/2020, URL:

[xii] Barnum Matt, « Guidance from DeVos Means More Coronavirus Relief For Private Schools”, in Chalkbeat (en ligne), 05/05/2020, consulté le 02/06/2020

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