Porte d’entrée sur le continent nord-américain, New York est l’une des premières villes des États-Unis à avoir été touchée par la crise de la COVID-19. A ce jour, on pleure déjà près de 21 000 personnes, dont plus de la moitié dans les quartiers défavorisés, noirs et hispaniques. Parmi les multiples conséquences de la déflagration virale et après plusieurs années d’expansion, le budget municipal devrait subir un déficit de l’ordre de 2,9 milliards de dollars dès cette année et près du triple pour 2021. Le repli des finances publiques annonce un virage qui pourrait changer la donne dans certains secteurs d’intervention, notamment dans l’environnement. Premier symptôme du bouleversement de priorités, les programmes de compostage, à vocation éducative et pourvoyeurs d’emplois, ont été suspendus. Pourtant, les espaces verts n’ont jamais été aussi importants pour la population : ils ont servi pour l’installation d’hôpitaux provisoires et ils restent ouverts au public malgré la crise sanitaire. Les services publics ont même lancé une page en ligne « Parks@Home » pour promouvoir des activités de bien-être en lien avec la nature.
Depuis plusieurs décennies, des collectifs associatifs (Conservancies, Alliances, “friends of”, “stewards of“…), plus ou moins professionnalisés, prennent en charge les espaces publics de nature aux côtés du service des Parks de la Ville. Bien qu’ils agissent sur le domaine public, un rapport publié en ligne le 1er mai par plusieurs organisations locales rappelle que le fonctionnement de la moitié de ces collectifs repose principalement sur des fonds privés. Empêchés de se réunir en personne pour assurer leur mission d’intendance (stewardship), menacés dans leur survie pour certains, ces acteurs ordinaires agissent désormais en ligne. Profitant des espaces virtuels pour faire valoir leur rôle crucial dans la qualité environnementale urbaine, ils utilisent les réseaux sociaux, les newsletters, les pétitions numériques. Sous le coup de l’émotion collective et coupés des liens physiques, les groupes citoyens se mobilisent donc différemment pour continuer d’exister. La crise révèle leurs relations d’interdépendance et de solidarité mais aussi, pour certains, leurs vulnérabilités. Divers travaux, notamment ceux du Forest Service de l’USDA ont montré l’importance des réseaux d’acteurs civiques dans les échanges de ressources aussi bien matérielles (argent, outils, plantes, compost, main d’œuvre…) qu’immatérielles (connaissance, valeurs…). Ces connexions enchevêtrées sont le témoin de l’hybridation forte entre secteur public et secteur privé qui a lieu dans la gouvernance des espaces de nature new-yorkais.
Depuis le mois d’avril dernier, les organisations à but non-lucratif ont utilisé le numérique pour collecter et distribuer des fonds pour faire face à la baisse du budget public mais aussi des donations privées. L’une des plus influente, la City Parks Foundation, a lancé, au début du mois de mai, un fonds d’urgence pour venir en aide aux collectifs locaux. La « NYC Green relief & Recovery Fund » permet ainsi aux groupes de demander des subventions de 1 500 $ à 100 000 $. Chaque année, cette fondation distribue environ 150 millions de dollars issus du secteur privé auprès des groupes locaux travaillant dans plus de 400 parcs. A ces aides d’urgence, s’ajoutent des revendications plus structurelles. Pour la deuxième année consécutive, à l’occasion de la campagne « Play Fair for Parks », plus de 250 organisations signent un plaidoyer pour un réinvestissement municipal massif dans les espaces verts. C’est donc toute une économie, issue pour certains du néolibéralisme[1], qu’il s’agit de sauver.
D’ailleurs, ce ne sont pas seulement les parcs qui sont en jeu mais l’environnement dans toutes ses dimensions. A l’échelle du quartier de Flushing (Queens), territoire multiculturel pauvre, cluster du virus, les collectifs misent sur la solidarité et le soin mutuel entre groupes pour faire face à la crise économique. Ils en appellent aussi aux dons des particuliers tout en justifiant leur contribution dans la gestion du milieu de vie qui fait sens pour eux, le bassin versant et la baie.
D’autres mobilisations collectives sont remarquables. Malgré la suppression des programmes de compostage qui avaient lieu sur un de leurs sites, Gowanus Canal Conservancy a continué son activité de bénévolat en respectant les normes de distanciation physique. Le collectif a ainsi appelé les habitants via les réseaux sociaux à venir se fournir gratuitement en plantes natives, composts et outils afin de participer à la végétalisation du quartier.
Les réseaux sociaux deviennent l’extension d’un espace public morcelé et amoindri. C’est l’un des dispositifs sur lequel parient les collectifs pour s’en sortir face aux désinvestissements. Cette éco-citoyenneté qui s’exprime sur la toile a ainsi vu la constitution d’une communauté de soutien et de destin autour du hashtag « #SaveOurCompost » sur Facebook. Depuis sa création le 4 mai, on compte 73 posts[2].
L’avenir n’en reste pas moins incertain. Le numérique sert en ce moment à mobiliser pour la résilience socio-écologique locale mais tous les groupes n’auraient pas les mêmes moyens, ni les mêmes ressources. Enfin, le moteur de ces engagements citoyens ne saurait se réduire à des montants inscrits sur des chèques : des valeurs, des affects, des savoirs sont souvent au cœur de leurs démarches collectives. Celles-ci s’adaptent rapidement dans un New York post-COVID.
Paris 26 mai 2020
Hugo Rochard est doctorant en géographie à l’Université de Paris, au sein du LADYSS et du LabEx DynamiTe. Sa thèse porte sur les mobilisations citoyennes pour la nature en ville, à Paris et à New York City.
[1] Voir notamment : John Krinsky et Maud Simonet, Who cleans the park? Public work and urban governance in New York City, The University of Chicago Press, 2017.
[2] Comptabilisé entre le 4 et 25 mai 2020
2 réponses sur « New York et la COVID-19 : se mobiliser coûte que coûte pour l’environnement »
[…] Hugo ROCHARD, doctorant du LabEx DynamiTe et membre de l’UMR 7533 LADYSS, propose sur ce blog un billet intitulé « New York et la COVID-19 : se mobiliser coûte que coûte pour l’environnement ». […]
[…] Hugo ROCHARD, doctorant du LabEx DynamiTe et membre de l’UMR 7533 LADYSS, propose sur ce blog un billet intitulé “New York et la COVID-19 : se mobiliser coûte que coûte pour l’environnement”. […]