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Quelle place pour les tests dans gestion de la COVID-19 au Brésil ?

Par Koichi Kameda, docteur en sociologue de l’EHESS et juriste, actuellement chercheur postdoctoral de l’IFRIS rattaché au Centre Populations et Développement.

Par Mady Barbeitas, sociologue et vétérinaire, doctorante en sociologie à l’EHESS et rattachée au CERMES3, ingénieure de recherche pour le projet CoBRATestes.

Texte écrit avec la contribution de Marilena Corrêa, Professeure associé de l’Institut de Médecine Sociale de l’Université de l’État de Rio de Janeiro

Dès mars 2020, il y a plus d’un an, le directeur de l’Organisation Mondiale de la Santé demandait à tous les pays d’investir davantage dans la réalisation de tests de diagnostic pour contrôler la dissémination du SARS-CoV-2, virus causant la Covid-19. Par ailleurs, au début de la pandémie, les tests ont été au cœur de la réponse sanitaire de la plupart des États nationaux. Les pays considérés comme « modèles » par les experts en santé publique ont été ceux qui ont mis en place un système de dépistage massif. Les tests de diagnostic fondés sur la technique de la polymerase chain réaction (PCR) représentent le « gold standard » en ce qui concerne la détection des individus infectés par le nouveau coronavirus.

Test de dépistage du SARS-Cov2 (Source Sénat fédéral / Flickr, photo Leopoldo Silva/Agência Senado)

L’intérêt du dépistage est d’isoler rapidement les individus positifs, pour ensuite tracer leurs cas contact et briser la chaîne de transmission.  L’adoption d’une telle politique n’était néanmoins pas évidente pour tous les pays. Le Mexique, l’Argentine et la Colombie, soit les pays les plus touchés de l’Amérique Latine après le Brésil, ont des taux de dépistage total de 46.37 (Mexique, le 18 avril 2021), 179.95 (Argentine, le 14 avril 2021) et 272.56 (Colombie, le 19 avril 2021) par 1,000 personnes. On est loin des leaders dans ce domaine : le taux de dépistage total aux États-Unis est de 1,207.14 par 1,000 personnes (16 avril 2021).[1] La place des tests dans les stratégies nationales de gestion de la pandémie semble donc avoir occupé une priorité variable dans les Amériques.

Ce billet va analyser plus spécifiquement le cas brésilien pour éclairer le rôle du test de diagnostic dans la réponse à la COVID-19, en se basant sur les données issues du projet de recherche en cours « CoBRATestes – Testing Capacity for COVID-19 in Brazil : National technological production and universal access to health in times of political uncertainty » soutenu par l’Agence National de Recherche sur le Sida et les Hépatites Virales et l’Institut Francilien Recherche, Innovation, Société. Le projet est mené par un réseau de chercheurs rattachés à l’Université de Rio de Janeiro, la Fondation Oswaldo Cruz, le Centre Population et Développement (CEPED) et le Centre de Recherche Médecine, Sciences, Santé, Santé Mentale, Société (CERMES3).

Une question de capacité ou de politique ?

Une question cruciale pour une stratégie de dépistage par PCR est la montée en échellede la capacité à offrir des tests en grande quantité à la population. Elle implique la production et/ou l’importation de réactifs et d’équipements spécialisés, et le transport et le traitement des échantillons.

Au Brésil, la logistique et la capacité de production des tests moléculaires et du traitement des échantillons ne semblent plus poser problème. Alors que le pays a été sévèrement affecté par le manque de réactifs sur le marché international au début de l’épidémie (Mars 2020), la donne a changé à partir du deuxième semestre de 2020. Les investissements réalisés par les secteurs public et privé ont élargi cette capacité. Tout d’abord, la Fondation Oswaldo Cruz, rattaché au Ministère de la Santé, par son institut de recherche et de production de vaccins et d’immunologiques (Biomanguinhos) s’est impliquée dans la production d’une partie des intrants pour les tests PCR utilisés dans le système de santé publique. Ensuite, la Fondation a coordonné l’installation des quatre grandes centrales d’analyse de tests moléculaires situées dans quatre états brésiliens (Rio de Janeiro, Sao Paulo, Paraná et Ceará). Les dons du secteur privé national ont joué un rôle important et inédite, finançant la construction de deux des centrales (à Rio de Janeiro et au Ceará). Des investissements d’infrastructure, comme la construction des hôpitaux (de campagne et de recherche clinique) et des usines pour la production de vaccins ont bénéficié également de tels dons. D’autre part, un conglomérat de laboratoires privés a assumé temporairement la réalisation gratuite d’une partie des tests du secteur public à Sao Paulo. Certes, il est tôt pour affirmer que ces initiatives vont ouvrir la voie à une nouvelle tendance de financements privés dans le système public de santé. Il se peut que cela soit spécifique au contexte de pandémie.

Les quatre centrales nouvellement construites ont ajouté une capacité supplémentaire d’environ 1 million de tests PCR par mois au réseau des laboratoires publics (Lacens) installé auparavant. Par ailleurs, les laboratoires privés d’analyses médicales ont également élargi leur capacité, offrant une grande variété de tests pour la COVID-19 accessibles à ceux qui ont des assurances privées ou ceux qui peuvent payer de leur poche (moins de 30% de la population brésilienne). 

Malgré l’augmentation de la capacité à réaliser des tests, le rôle du diagnostic au sein de la gestion brésilienne à l’épidémie ne semble pas très clair. Les chiffres sur la quantité totale de tests réalisés sont difficiles à trouver, et ils ne distinguent pas le type de test (PCR ou sérologique) ni la proportion réalisée par le secteur privé – le gouvernement enregistre seulement le nombre de cas positifs. Ensuite, le taux de réalisation de tests n’a eu pas une augmentation continue. Au contraire, le nombre de tests PCR réalisés par jour dans le secteur public a diminué de 57,319 à 47,232 entre janvier et février 2021. En outre, le nombre de tests PCR – environ 30 millions de tests réalisés par le secteur public et privé jusqu’au 13 Mars 2021,  – semble insuffisant pour une population de plus de 210 millions d’habitants.

Or, le faible nombre de tests réalisés ne provient pas d’une pénurie ou d’une insuffisance de capacité. Un rapport de 27 novembre 2020 avait ainsi recensé 15 millions de tests PCR stockés par le ministère de la Santé et non utilisés, dont la majorité était sur le point de périmer. En réalité ces tests, achetés auprès d’une compagnie coréenne, n’étaient pas compatibles avec les équipements installés dans les laboratoires publics. Pour ne pas les perdre totalement, le gouvernement a décidé de les donner à des institutions privées brésiliennes et à d’autres pays de la région, comme Haïti.

En dépit, donc, des efforts d’expansion de la capacité de production et traitement de tests, le pays n’a jamais mis en place une vraie stratégie pour leur utilisation. Durant les premiers mois de l’épidémie, le ministère de la Santé avait élaboré la politique Diagnosticar para cuidar (Diagnostiquer pour soigner) dans laquelle l’expansion de la capacité de diagnostic était associée à l’isolement et au traçage des cas-contact. Mais cette politique semble avoir été laissée de côté en raison des divergences entre le ministère de la Santé et le président de la République sur les mesures d’isolement social ou bien sur l’utilisation de la chloroquine, cause du limogeage de deux ministres en Avril et Mai 2020.

Des techniciens réceptionnent des échantillons pour la réalisation du test PCR dans la Centrale de Diagnostic pour la COVID-19 de la Fondation Oswaldo Cruz à Rio de Janeiro inaugurée en Août 2020 (Source : auteurs, février 2021).

Les raisons de l’absence d’une stratégie de dépistage

L’absence d’une vraie stratégie de dépistage peut avoir d’autres raisons, notamment politiques. Les tests moléculaires de la COVID-19 s’insèrent dans une politique internationale de santé connue par le sigle TTI « tester, tracer et isoler ». Si le test est dissocié de cette triade, il perd sa fonction en termes de contrôle de l’épidémie. Or, l’élargissement de la capacité du Brésil dans ce domaine concerne uniquement l’offre de tests et non son utilisation. En termes d’utilisation le quantitatif est encore plus faible. Toutefois, la promesse d’une « offre massive » de tests sans objectivement stimuler leur utilisation est souvent évoquée par des personnalités politiques pour influencer les intentions de vote pour la prochaine élection présidentielle. Une promesse chargée d’intérêt politique qui n’a pas de répercussion sur la santé publique.

Les tests ont aussi le rôle primordial de donner des informations aux autorités de santé sur le statut de l’épidémie. Ce rôle est encore plus important avec le besoin de suivre l’émergence de nouvelles variantes du virus. En ce sens, l’absence d’une vraie stratégie de dépistage et d’une base de données exhaustive sur les résultats de tests semblent cohérents avec la façon de gouverner la COVID-19 par le pouvoir central brésilien, qui a essayé  de supprimer des informations sur l’évolution de l’épidémie en juin 2020[2] (Ortega and Orsini 2020).

Koichi Kameda est docteur en sociologie de l’EHESS et juriste. Il est actuellement chercheur postdoctoral à l’IFRIS, rattaché au Centre Populations et Développement. Il est un des coordinateurs du projet « CoBRATestes – Testing Capacity for COVID-19 in Brazil : National technological production and universal access to health in times of political uncertainty » financé par l’Agence National de Recherche sur le Sida et les Hépatites Virales.

Mady Barbeitas est sociologue et vétérinaire. Elle est doctorante en sociologie à l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales et rattachée au Centre de Recherche Médecine, Sciences, Santé, Santé Mentale, Société (CERMES3). Elle est ingénieur de recherche pour le projet CoBRATestes.

References

  • Kameda K, Barbeitas MM, Caetano R, Löwy I, Oliveira ACD, Corrêa MCDV, Cassier M. Testing COVID-19 in Brazil: fragmented efforts and challenges to expand diagnostic capacity at the Brazilian Unified National Health System. Cad Saude Publica. 2021 Apr 7;37(3):e00277420.
  • Ortega, Francisco, and Michael Orsini. 2020. “Governing COVID-19 without Government in Brazil: Ignorance, Neoliberal Authoritarianism, and the Collapse of Public Health Leadership.” Global Public Health, 1–21. https://doi.org/10.1080/17441692.2020.1795223.

[1] Our World In Data, Cumulative COVID-19 tests. Dernier accès le 22 avril 2021

[2] En début juin 2020, le Ministère de la Santé a temporairement effacé de sa page internet les informations sur le numéro total de cas confirmés du SARS-COV-2. Le gouvernement a également manifesté son intention de raconter le numéro de morts par la COVID-19 en argumentant que les gestionnaires publiques des États et les municipalités auraient gonflé ces chiffres pour obtenir des fonds supplémentaires.