Pour contribuer à la recherche sur l’épidémie de Covid-19 au Brésil il est possible de rechercher des similitudes ou des corrélations entre la distribution des cas et celle de quelques données socio-économiques, en partant du fait que l’occurrence des phénomènes en un même lieu n’est pas l’effet du hasard mais qu’elle peut mettre sur la piste de relations de causalité[1].
On peut ainsi représenter le Brésil en fonction de caractéristiques sociales et économiques des communes comme la pauvreté, les mauvaises conditions sanitaires, la densité d’occupation des logements, leur équipement sanitaire, la composition familiale ou le le niveau d’instruction. On peut y ajouter le développement local, mesuré par l’indice IDMH (Índice de Desenvolvimento Humano Municipal) ou la proportion de l’administration publique (qui illustre le dynamisme économique) et d’autres facteurs sociaux comme la couleur de peau ou la religion[2]. L’ensemble de ces données présente, lorsqu’on les représente de manière cartographique, des ressemblances avec les cartes de distribution des cas de Covid-19.
Afin de vérifier la signifiance de ces rapprochements et de simplifier la représentation de nombreux facteurs en une seule carte, ces données ont été associées dans une analyse factorielle en composantes principales (ACP) dont la figure 1 montre le résultat. Les ACP servent à vérifier dans une série de données celles qui contribuent le plus à la variation de l’échantillon et à identifier celles qui contribuent dans un même sens ou au contraire celles qui se contredisent. Les résultats bruts de l’analyse sont représentés sur le diagramme 1.
On y voit se dessiner des groupes de variables qui jouent dans le même sens. Sur la gauche de l’image on trouve les valeurs élevées pour l’équipement sanitaire des logements, les revenus, les indices de développement, les niveaux d’éducation, de revenu et d’emploi et la proportion des personnes qui ont déclaré au recensement que la couleur de leur peau était « branca » (blanche). C’est le Brésil développé. De l’autre côté du diagramme, sur sa droite, les valeurs sont élevées pour la proportion des personnes sans revenus ou inférieurs à un salaire minimum, le taux d’analphabétisme des plus de quinze ans, la part de l’administration publique dans la valeur ajoutée, la part des dépendants dans le foyer, la densité d’occupation des logements et l’inadéquation de leurs équipements sanitaires, ainsi que la forte la proportion des personnes à couleur de peau « parda » (métis). C’est le Brésil pauvre.
Sur l’axe 2 de l’analyse, qui se lit de bas en haut, s’opposent d’un côté les communes où une forte proportion des habitants se sont déclarés de religion catholique aux recensements de 2000 et 2010[3], de l’autres ceux où ils ont déclaré être evangélicos (protestants pentecôtistes).
Les variables liées à la Covid-19 sont, elles situées dans le coin en bas à droite du diagramme. Elles varient donc de manière similaire à la fois aux données qui illustrent la pauvreté et à celles qui indiquent une plus forte proportion de evangélicos.
Les résultats ont ensuite été projetés sur une carte qui figure situe le score des 5 570 municipios (communes) brésiliennes sur des axes qui les différencient en fonction de l’ensemble des variables traitées (figure 2). Cette carte est ensuite comparée à la carte du nombre des cas de Covid-19 (figure 3). Le résultat de ce rapprochement cartographique confirme sur le plan spatial la conclusion de l’ACP. Les cas de Covid-19 et les décès qu’ils ont causés sont nettement du côté du Brésil pauvre, identifié à droite du diagramme 1. Les raisons en sont claires : comment respecter les consignes de confinement si l’on doit sortir pour gagner chaque jour de quoi se nourrir et nourrir sa famille ? Et comment faire les « gestes barrières » si l’on n’a pas les installations sanitaires minimum, dans les favelas notamment ?
La carte situant les communes sur l’axe 1 oppose donc les parties les plus développées du pays, en bleu, et les plus pauvres en jaune et orange. La seconde oppose les régions où le catholicisme est encore fort, en jaune, à celles où les evangélicos ont le plus progressé[4], en bleu, en Amazonie et dans quelques régions urbaines du Sudeste et du Nordeste côtier.
La première carte montre bien que les cercles noirs proportionnels au nombre de cas (recensés) de la maladie, sont plus nombreux et plus gros dans les régions les plus pauvres. Font exception les villes les plus peuplées du pays, São Paulo, Rio de Janeiro et Brasília, pourtant situées dans les parties les plus développées du pays, qui s’expliquent essentiellement par la présence dans ces agglomérations de fortes poches de pauvreté, concentrées dans des quartiers où la couverture médicale est insuffisante.
Sur la deuxième carte le dégradé de couleurs va du bleu des evangélicos au jaune et orange des catholiques, il est inscrit dans des cercles proportionnels au nombre de cas de Covid-19. On voit bien que les plus gros sont plutôt bleus/ evangélicos dans les grandes villes et en Amazonie, alors que les cercles jaunes/catholiques du sertão nordestin et du Sud (catholique ou protestant luthérien) sont à peine visibles car beaucoup plus petits (pour le moment du moins, car l’épidémie gagne de plus en plus vers l’intérieur du pays
On comprend bien en quoi la pauvreté peut jouer dans l’exposition à la maladie. Mais en quoi le fait d’être catholique ou evangélico peut-il influer sur le nombre de cas de Covid-19 ? Parmi les précautions qui permettent de réduire le risque de contagion se trouve le fait d’éviter les rassemblements dans des lieux clos et les contacts proches avec des personnes qui peuvent être infectées. Or les cultes évangéliques rassemblent justement de nombreux fidèles dans des temples où ils chantent ensemble et s’embrassent : des cas de contagion liés à ces pratiques ont été reconnus en Corée du Sud et en France[5]. Ces temples sont par ailleurs très nombreux à avoir refusé de fermer ou d’appliquer des mesures de distanciation entre leurs fidèles, en partie par incrédulité face à la maladie et en partie parce que les pasteurs ont voulu garder le contact avec leurs ouailles. Le facteur religieux peut donc contribuer à la répartition des cas de Covid-19, bien que de manière moins importante que les autres facteurs : l’axe 2 représente 16,58% de la variance contre les 44.75% de l’axe 1 qui illustre le contraste entre régions plus ou moins développées.
L’analyse des données socio-économiques fait donc principalement apparaître une forte liaison entre les cas de Covid-19 et la pauvreté et ses conséquences, à laquelle la prédominance des evangélicos ou des catholiques introduit toutefois des nuances. Il ne faut pas confondre corrélation et causalité, mais cette dimension mérite d’être prise en considération, tant dans l’analyse de la contagion que dans celle des actions entreprises – ou pas – pour la contrôler.
Ivry, le 8 juillet 2020
Hervé Théry, Directeur de recherche émérite au CNRS (UMR CREDA) et professeur à l’Universidade de São Paulo (USP-PPGH). Géographe, il étudie depuis 1974 les disparités et les dynamiques du territoire brésilien en utilisant à la fois la cartographie thématique et de nombreux travaux de terrain. Il a été membre du Conseil scientifique de l’IdA.
[1] Une version plus complète de ce texte (détaillant la méthodologie et les variables, puis utilisant une seconde analyse statistique, la classification ascendante hiérarchique/CAH ) est disponible en français sur le site de la revue de géopolitique Diploweb (https://www.diploweb.com/Quels-sont-les-facteurs-associes-a-la-propagation-de-l-epidemie-de-Covid-19-au-Bresil.html) et en portugais sur celui de la revue Confins (https://journals.openedition.org/confins/31101).
[2] Cf ; « Covid-19 au Brésil : aggravants, scénarios et risques », https://covidam.institutdesameriques.fr/covid-19-au-bresil-aggravants-scenarios-et-risques/
[3] Les derniers disponibles, celui de 2020 ayant été reporté à cause de la pandémie
[4] La proportion de personnes se déclarant catholiques est passée entre le recensement de 2000 et celui de 2010 de 73,6% à 64,6%, tandis que celui des evangélicos passait de 15,4% à 22,2%.
[5] Ces cas sont détaillés dans les versions longues citées en note 1.