La crise de la Covid a relancé les débats sur la pauvreté et les inégalités sociales aux États-Unis. Le plan de relance de 1900 milliards de dollars de Joe Biden, adopté en réponse à la crise, incarne un interventionnisme étatique qui détone avec la culture du « moins d’État » soutenue tant par les républicains que par les démocrates depuis plusieurs décennies. Le plan prévoit en effet une assistance financière directe accordée par l’État aux Américains, avec des chèques de 1 400 dollars, sous condition de ressources, ainsi qu’un dispositif à destination des enfants. Un crédit d’impôt étend ainsi les prestations accordées aux familles avec enfants à charge, pour un montant moyen de 300 dollars par enfant et par mois, y compris aux personnes sans emploi.
Ces dispositifs sont en rupture avec la doxa de ces 25 dernières années en matière d’aide sociale aux États-Unis, fondée sur la restriction des allocations par le plafonnement de leur montant et de leur durée, ainsi que par le conditionnement des aides à des heures de travail obligatoire. Ce n’est pas une nouveauté au regard de périodes plus anciennes. Pendant plusieurs décennies, les programmes d’assistance sociale créés pendant le New Deal des années 1930, notamment Aid to Families with Dependent Children, ont fourni des moyens de subsistance aux mères célibataires.
Mais depuis la fin des années 1960, les femmes pauvres, souvent africaines-américaines, avec enfant à charge, font l’objet de réformes dures destinées à les ramener sur le marché de l’emploi, les contraignant, à défaut, à se marier pour assurer leur survie économique. Cette approche restrictive et punitive, dont l’objectif est de contrôler les pauvres plus que les aider, fut achevée par la réforme adoptée en 1996 par le président démocrate Bill Clinton. Celle-ci a créé un nouveau programme, Temporary Aid to Needy Families, accordant de maigres aides en contrepartie d’heures de travail et pour une durée maximale de 5 ans.
Aux États-Unis, l’aide sociale n’est pas seulement accordée sous condition de ressources, elle est aussi traditionnellement adossée au « mérite » individuel des bénéficiaires et à leur place dans la société productive. C’est bien le sens des mesures de contrepartie comme le travail obligatoire : les pauvres doivent mériter leurs allocations en démontrant qu’ils ne sont pas inactifs et qu’ils sont prêts à tout faire pour intégrer le marché de l’emploi.
Même en 2021 et devant les ravages sociaux de la Covid-19, certains républicains rejettent encore ce qu’ils décrivent comme des allocations indûment versées à des populations non-méritantes. Critiquant une proposition de son collègue Mitt Romney qui prévoyait de réformer le crédit d’impôt pour accorder des aides aux personnes sans emplois, le sénateur de Floride Marco Rubio a répété que ces dispositifs devaient être réservés aux seuls travailleurs. Hors de question pour lui de transformer « une réduction d’impôt pour les parents qui travaillent » en « assistance sociale », une formulation témoignant bien de la stigmatisation qui caractérise les programmes d’aide et ceux qui en bénéficient[1].
En ayant recours à des transferts financiers directs et sans contrepartie, le plan Biden renoue avec une forme ancienne de l’aide sociale, qui définit la lutte contre la pauvreté comme un enjeu national. De fait, la pandémie de Covid-19 affecte de manière disproportionnée les populations les plus pauvres, notamment les Africains-Américains. A New York, les données de la municipalité révèlent que les quartiers pauvres de Brooklyn et du Bronx sont particulièrement touchés. Au début de l’année 2021, les quartiers comptant le plus d’hospitalisation étaient ceux de Bright Beach et Coney Island dans le sud de Brooklyn (306,9 hospitalisations pour 100 000 habitants) et ceux de Parkchester et Pelham Parkway dans le Bronx (219,1)[2]. Les données sur mortalité révèlent une répartition similaire : celle-ci est parfois deux fois plus élevée dans les quartiers pauvres que dans le reste de la ville. Pour ces populations, la crise est autant sanitaire que sociale et économique puisqu’elles sont particulièrement affectées par les pertes d’emploi et de revenu engendrées par la contraction de l’économie et sont aussi plus exposées à la déscolarisation.
Le plan Biden répond à des considérations économiques et politiques, puisque la lutte contre la précarité était au cœur de la campagne du président. Dans la lignée des promesses du président de renforcer l’Affordable Care Act (plus connu sous le nom d’Obamacare), il incite notamment les compagnies privées à réintégrer ceux qui auraient perdu leur assurance à cause de la crise.
La réforme répond également aux revendications d’un mouvement social actif depuis plusieurs années. Des associations de défense des personnes démunies s’organisent pour demander une meilleure protection sociale, d’autant plus dans le contexte de la crise sanitaire, économique et sociale de la Covid. C’est le cas de la Poor People’s Campaign, dont le nom est une référence au mouvement lancé par Martin Luther King à la fin des années 1960, présente dans une quarantaine d’États. Très active dans l’État de New York, elle a notamment envoyé une pétition au gouverneur Andrew Cuomo et aux élus du Congrès, les exhortant à mettre en œuvre un programme social ambitieux : des arrêts maladie couverts à 100%, un accès gratuit aux tests et soins liés à la Covid-19, un revenu annuel garanti pour tous les travailleurs, y compris les plus précaires, pendant la durée de la pandémie, l’annulation des dettes médicales et étudiantes, ou encore l’abolition des conditions de travail pour les aides sociales fédérales, comme Medicaid et le Supplemental Nutrition Assistance Program.
La branche new-yorkaise milite pour l’adoption d’un New York Health Act par le parlement de l’État, destiné à garantir l’accès au soin pour tous les New Yorkais, quels que soient leurs revenus, leur âge, ou leur couleur de peau. Le projet de loi sera examiné au cours de l’année 2021. Car, comme les associations l’ont bien compris, la lutte contre la pauvreté se joue en grande partie à l’échelle des États et les disparités sont grandes de l’un à l’autre. Le programme Medicaid, l’assurance santé fédérale à destination des personnes démunies, est largement administré par les États et nombreux sont ceux, républicains, qui ont choisi de ne pas élargir les aides prévues d’abord par Obamacare, puis à présent par le plan de relance. Beaucoup conditionnent également cette couverture santé à des heures de travail obligatoire.
Alors que les dépenses de santé augmentent et que les pauvres sont à la fois les plus touchés par la maladie et les moins assurés, la fédéralisation du système de protection sociale reste bien un défi pour l’administration Biden.
[1] Marco Rubio, 4 février 2021. “That is not tax relief for working parents; it is welfare assistance.”
[2] Voir la carte ci-dessous. Source : NYC Health
Une réponse sur « Un renouveau de l’assistance sociale ? Regard sur le plan de relance de l’administration Biden »
[…] exclu), à hauteur de 300 $ par enfant. Contrairement à la doxa en vigueur depuis longtemps et comme le soulignait ce billet dans ce blog, ces allocations ne sont plus conditionnelles et leur usage est laissé à l’appréciation des […]