Mexique Géographie

Au Mexique, la COVID-19 comme révélateur des contradictions sociales et économiques.

Par Samuel Jouault, professeur-chercheur de la Faculté de Sciences Anthropologiques de l´Université Autonome du Yucatán et chercheur associé au CEMCA.

Par Gilles Polian, professeur-chercheur du Centro de Investigaciones y Estudios Superiores en Antropología Social (CIESAS).

Par Bernard Tallet, directeur du CEMCA.

Depuis l’éclatement de l’épidémie en février-mars 2020, le choix politique du Mexique a été de faire face à la diffusion de l’épidémie avec une stratégie consistant à « aplanir la courbe épidémiologique », en clair non pas essayer de stopper net la pandémie maiséviter un pic d’infections qui aurait submergé les capacités hospitalières. En conséquence, le pays opta pour un confinement non obligatoire, instauré dès le 30 mars.  Ce dispositif a contribué à limiter l’occupation hospitalière à moins de 50 % en moyenne sur le territoire, et à moins de 80 % dans les régions les plus touchées par l’épidémie. Mais en contrepartie, le résultat de cette approche a été le maintien à un niveau élevé des infections et de la mortalité durant des semaines, les autorités parlant d’un plateau.

Informe diario sobre coronavirus COVID-19 en México
Hugo López-Gatell, sous-secrétaire en charge de la prévention et de la promotion de la santé dans le point de presse quotidien sur la Covid-19 (Source présidence de la République)

Les interrogations sur ce choix stratégique ont augmenté lorsque le gouvernement a initié, à partir du 1er juin, une reprise progressive des activités économiques, afin de limiter les effets dévastateurs d’une crise économique déjà majeure. Malgré le maintien à un niveau élevé du nombre des contaminations, M. Lopez Gatell, épidémiologue en charge de la prévention et promotion de la santé au sein du ministère du même nom a justifié lors d’une de ses interventions quotidiennes cette option : « Nous avons pris la difficile décision d’équilibrer la protection de la santé et celle du bien-être des gens car la moitié de la population vit au jour le jour ».

Cette déclaration marque le constat de l’impossibilité de prolonger les mesures de confinement dans un pays où la majorité de la population active relève du secteur informel. Mais aussi à une échelle plus macro-économique, elle révèle les difficultés du pays : le peso mexicain a perdu depuis le démarrage de la crise sanitaire plus de 20% de sa valeur par rapport à l’euro ; les entrées de devises ont chuté brutalement et probablement de manière durable, car elles sont fortement dépendantes de deux secteurs économiques : l’exportation de pétrole dont le prix a chuté sur le marché international et les activités touristiques, complétement à l’arrêt.

Alors que l’activité économique entre en récession, le nombre de victimes continue à augmenter (70 000 décès enregistrés au 15 septembre).  Il s’agit du deuxième plus grand nombre de morts en Amérique latine après le Brésil.

Comme pour tous les pays, ce chiffre absolu doit cependant être rapporté à la population -le Mexique comptant 127 millions d’habitants. Si l’on calcule le nombre de décès par million d’habitants, il appartient certes au groupe des pays les plus atteints, dans lequel on trouve aussi l’Espagne, les États-Unis, l’Italie ou la Suède. Placé autour de la 12ème place, il est cependant bien après le Chili, l’Équateur, la Bolivie, le Brésil ou le Pérou, ce dernier se situant aujourd’hui en tête de ce classement et devant atteindre sous peu le seuil symbolique de 1 000/million.

Après plusieurs mois de diffusion généralisée de l’épidémie à travers le pays, la crise sanitaire interroge sur les fondements à l’origine de ses manifestations diversifiées.

Au plan national, la COVID-19 révélateur des maladies chroniques du Mexique, et des incertitudes majeures.

Comme pour l’ensemble des pays du monde, l’épidémie a mis en lumière les fortes inégalités structurelles du Mexique : les pauvres paient le plus lourd tribut à la contamination. Dans un pays à la situation alimentaire fortement déséquilibrée (record mondial de consommation de boissons sucrées !), le Coronavirus a rencontré un contexte sanitaire détérioré favorable à la gravité des cas du fait de l’importante prévalence de l’hypertension, du diabète et de l’obésité. le lien est tellement évident que le président Manuel Lopez Obrador s’est engagé à protéger les personnes vulnérables à la Covid-19, notamment en s’attaquant aux « maladies causées par la faim et la pauvreté » et en lançant « une campagne permanente » pour promouvoir une alimentation et des modes de vie plus sains.

Encore faudrait-il que ces annonces s’appuient, à long terme, sur des politiques volontaristes pour corriger les dérives d’un système alimentaire fortement dégradé, censé arriver à nourrir à bon compte la masse de la population. Un vrai défi politique pour les autorités mexicaines, lorsque l’urgence actuelle sera dépassée !

A l’urgence de la crise sanitaire, répond l’amplification de la crise économique, à un moment où le ralentissement des activités durant plusieurs mois a dégradé les conditions de vie de nombreuses entreprises de toutes tailles, et où le budget fédéral paupérisé par la chute des ressources pétrolières et touristiques ne dispose pas de moyens pour appuyer la relance, ce qui amène aussi à s’interroger sur la capacité de l’actuel président de promouvoir les transformations économiques et sociales qu’il a promises.

L’ombre de la crise économique plane, réveillant l’inquiétude pour les lendemains.

Les restrictions budgétaires imposées très rapidement, notamment aux centres de recherche soulignent la forte dépendance du Mexique à deux sources essentielles de recettes pour le budget fédéral : le pétrole et le tourisme, deux secteurs plombés par la crise.

Une autre incertitude plane concernant l’amplitude de la crise économique qui frappe les Etats Unis, et l’impact qu’elle pourrait avoir sur plusieurs régions du Mexique, là où les apports des « remesas » envoyées par les migrants constituent une source importante dans les moyens de subsistance des populations locales. Plus largement, l’ampleur de la crise aux Etats Unis pourrait affecter toute l’industrie des maquiladoras, à travers les difficultés du secteur agroexportateur dépendant de la demande nord-américaine.

Campagne d’Amnisty international pour la libération des migrants retenus pour éviter la propagation de la Covid-19 (Source Amnisty)

Le Mexique peut aussi craindre un nouvel éveil des migrations mises actuellement en sourdine par le blocage des frontières en d’Amérique centrale. Avant l’éclatement de la pandémie, l’actualité était ponctuée par les caravanes de migrants qui font désormais du Mexique non plus seulement de transit mais un pays d’accueil, avec à la clé la question de comment gérer ces migrants, particulièrement si se produisait un afflux massif de population après la levée des restrictions dans des pays d’Amérique centrale aux économies ravagées par plusieurs mois de repli autarcique.

Sanitaire au départ, la crise évolue au Mexique, comme dans tant d’autres pays, en une profonde crise économique et sociale qui révèle les inégalités abyssales de sa société. Toutes les régions, cependant, ne sont pas touchées de la même manière, de même que leurs réactions divergent, ce que nous illustrerons dans un prochain billet approchant des exemples régionaux.

Mexico, le 19 septembre 2020

Samuel Jouault est géographe, est professeur-chercheur de la Faculté de Sciences Anthropologiques de l´Université Autonome du Yucatán et chercheur associé au centre d´études mexicaines et centraméricaines (CEMCA-UMIFRE 16 MEAE CNRS-USR 3337 Amérique Latine). Il est l’un des auteurs du rapport La Otra Cara del Turismo

Gilles Polian, linguiste, spécialiste des langues mayas, est professeur-chercheur du Centro de Investigaciones y Estudios Superiores en Antropología Social (CIESAS), antenne sud-est, à San Cristobal de Las Casas, au Chiapas. Il est l’auteur de l’Atlas linguistique maya.

Bernard Tallet, géographe, est directeur du CEMCA (Centre d’Etudes Mexicaines et Centraméricaines, UMIFRE 16-MEAE, CNRS, USR 3337 Amérique latine).

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