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Deux populismes américains à l’épreuve du réel : Bolsonaro et Trump face à la pandémie

Par François-Michel Le Tourneau, géographe, directeur de recherche CNRS à l’UMI iGLOBES.

En 2016 aux États-Unis et en 2018 au Brésil, deux outsiders ont été élus sur des vagues assez semblables de rejet du système politique et des hommes politiques traditionnels. Ils semblaient « sortir du cadre » et pour cela on les a souvent rapprochés.

Deux leaders comparables ?

Pourtant à y regarder de près, les similitudes ne sont pas si évidentes. Donald Trump peut réellement être qualifié de nouveau-venu (devrait-on dire novice ?) en politique. Il n’avait jamais été élu avant d’accéder à la magistrature suprême et il avait passé toute sa vie professionnelle dans les affaires (avec des résultats contestés) ou dans la télé-réalité (sa phrase-culte, « vous êtes viré ! » résonne encore aujourd’hui fréquemment dans les couloirs de la Maison Blanche).

« Vous êtes viré ! », la phrase culte de The Apprentice, le reality show de Donald Trump (source Flickr, photo prise en 2005).

Jair Bolsonaro était tout le contraire. Après une brève carrière militaire, interrompue par son renvoi pour insubordination, il a fait de la politique sa voie professionnelle (28 ans de mandats comme député fédéral !) et le cœur du business de sa PME familiale, ses fils étant tous eux-mêmes des élus locaux ou nationaux. Curieux pour un pourfendeur – comme Donald Trump – des « profiteurs du système » et quand on observe que les enfants du président Lula étaient, eux, dans le secteur privé (pas toujours assez éloignés des contrats publics, certes…).

Plus que sur leurs profils, le rapprochement entre Donald Trump et Jair Bolsonaro semble légitime sur leurs programmes, ou plutôt sur l’absence de programmes clairement définis si ce n’est par le détricotage de ce qui avait été fait par leurs prédécesseurs et par la promotion d’une dérégulation la plus large possible. Chacun des deux a son bouc émissaire ou sa figure de détestation. Pour Bolsonaro, le PT et le président Lula ont mené le Brésil dans la situation désastreuse dans laquelle il l’a trouvé – même si la période 2002-2014 a offert au Brésil une croissance économique exceptionnelle. Pour Trump, le président Obama n’a pris que de mauvaises décisions dont le pays souffre gravement – même si le redressement économique manifeste en 2016-2019 a été amorcé bien avant. Dans les deux cas c’est en fait un agenda ultra-conservateur qui se déploie, ciblant en priorité les totems sociétaux des églises évangéliques (en particulier l’avortement) et les priorités des lobbies conservateurs (notamment la dérégulation environnementale ou la réduction de l’action publique). Ce retour à des valeurs des années 1950 est camouflé derrière les prises de parole apparemment erratiques (« spontanées » et « directes » pour leurs partisans) sur les réseaux sociaux, un domaine dans lequel le Brésilien s’est directement inspiré de son homologue américain. Cette recherche d’une communication directe (i.e. sans passer par la presse) avec leur base est l’un des traits caractéristiques de ces deux populismes américains.

Aux États-Unis comme au Brésil, les agendas présidentiels sont contrariés par les Congrès. Trump et Bolsonaro mettent donc en scène avec habileté cette opposition en l’utilisant pour justifier que ce ne sont pas eux les responsables des blocages, mais la « vieille politique » ou le deep state. Les parallèles entre les deux présidents ne manquent pas, également, dans leur mode de gouvernement : repli fréquent sur leur cellule familiale (Eduardo et Flávio Bolsonaro, Ivanka Trump et Jared Kushner), appel à des collaborateurs issus de sérails étroits auxquels ils font confiance (les militaires pour le Brésilien, le monde des affaires pour l’Américain), etc.

Une relation complexe

Donald Trump et Jair Bolsonaro lors du dernier voyage officiel du président brésilien aux Etats-Unis en mars 2020 source Flickr.

Bien que les actions des deux présidents puissent se comparer, leur relation est complexe. Depuis le début de son mandat, le président brésilien veut se rapprocher de celui qui apparaît, puissance des États-Unis oblige, comme un modèle. Mais le président Trump n’apprécie rien autant que les rapports de force à son avantage. Il peut faire preuve d’égards pour son collègue brésilien, les quatre visites officielles de Bolsonaro aux États-Unis (la dernière, en mars, ayant entraîné la contamination par le coronavirus d’une bonne partie de la délégation concernée) le prouvent. Mais sa ligne directrice est « America first ». Les Brésiliens ont donc dû digérer des augmentations de tarifs douaniers divers et ils peuvent être sûrs que le président Trump fera tout pour que la Chine recommence à acheter le soja du Midwest plutôt que celui du Mato Grosso. Derrière les échanges de propos aimables, la concurrence demeure.

Deux populistes face à une pandémie…

La crise de la Covid-19 a révélé de nouveaux parallèles entre les deux présidents et leurs manières de gouverner. Dans un premier temps ils ont minimisé l’événement puis, lorsque la crise a commencé à s’imposer dans leurs pays respectifs, ils ont rejeté le blâme sur d’autres : la Chine, cible de Trump et des fils Bolsonaro, l’OMS récemment attaquée par le président américain… Dans les deux cas aussi, le premier réflexe aura été de vouloir préserver l’économie. Pour Trump, il s’agissait de conserver les arguments majeurs en vue de sa réélection : une croissance économique insolente et un chômage très bas. Pour Bolsonaro, il fallait éviter de renforcer les critiques majeures à son encontre : une croissance atone et un chômage toujours très élevé. Tous les deux vantent la chloroquine, sorte de remède miracle à leurs yeux : si on a un médicament, la maladie n’est plus grave et l’économie peut redémarrer.

Reflet convergent de leurs personnalités, dans les deux cas aussi la montée en popularité de personnages au profil technique entraîne un réflexe de défense consistant à les ostraciser. Le docteur A. Fauci, directeur de l’institut national de lutte contre les maladies infectieuses, est ainsi en délicatesse avec Donald Trump, et on attend d’un moment à l’autre le renvoi du ministre de la santé brésilien. La tentation de demander des pouvoirs exceptionnels et de diriger de manière centralisée, alors que les deux pays sont des fédérations, est aussi présente. Au Brésil la présidence a tenté de contester les mesures de confinement prises par les gouverneurs, et le président américain cherche lui aussi à s’arroger le pouvoir sur ce sujet.

De retour des Etats-Unis et malgré la contamination de sa délégation, Jair Bolsonaro prend un bain de foule à Brasilia

Malgré ces similitudes, des différences d’attitude apparaissent. Bien qu’il ait été difficile à convaincre, le président Trump a semblé ébranlé par le bilan des décès dans son pays. On le sait aussi, sur un plan personnel, appréhensif des microbes et maniaque de l’hygiène. Bien qu’à reculons, il semble avoir désormais (pour combien de temps ?) accepté de mener la lutte contre l’épidémie avec les seuls moyens efficaces : le confinement des populations et une vigoureuse action publique dans les domaines sanitaires et économiques.

Bolsonaro, au contraire, semble se complaire dans une sorte de complexe du miraculé. Ayant survécu à une attaque au couteau lors de sa campagne électorale et n’ayant pas été contaminé (ou, peut-être, ayant été contaminé mais se trouvant désormais immunisé) lors de sa visite aux États-Unis, il multiplie les bains de foule dans une sorte de défiance un peu infantile (on attend le « même pas peur » sur son fil twitter).

L’épreuve du réel

Le président Trump et Anthony Fauci, directeur de l’institut national de lutte contre les maladies infectieuses (source Wikicommons)

Derrière l’action des deux leaders, c’est bien le populisme qui les caractérise qui subit aujourd’hui l’épreuve de la réalité. Dénoncer fake-news et complots de l’establishment n’entravera pas la propagation du virus dans le monde réel, pas plus que dénigrer les compétences techniques ne permettra de gérer l’urgence sanitaire. Sans ligne d’action cohérente les deux présidents courent le risque de se retrouver marginalisés par des gouvernants locaux (le gouverneur de l’État de New York ou celui de l’État de São Paulo, par exemple) ou par des ministres qui, eux, font preuve d’efficacité et de responsabilité. Va-t-on assister au retour en force du réel dans ces deux démocraties ?

Paris, le 16 avril 2020

François-Michel Le Tourneau est directeur de recherche au CNRS affecté à l’UMI iGLOBES (CNRS/ENS/University of Arizona). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’Amazonie brésilienne, en particulier Amazonie : histoire, géographie, environnement (éditions du CNRS), prix Sophie Barluet 2019. Il travaille entre autres sur l’orpaillage illégal en Guyane française (#VidéoAvisd’expertIdA). Il a été trésorier de l’Institut des Amériques.

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